Chapitre 3: De nouveaux êtres

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Les arbres se font plus rares. Le sol sous nos pieds est de plus en plus goudronné, il n'y a plus d'herbes. Nous approchons d'un village. Je regarde mon frère, qui semble avoir également remarqué ce changement d'environnement.

- On doit certainement être proche d'une ville, me dit-il en me montrant le sol goudronneux, signe d'une route.

- Je sais, on va chercher une maison pour la nuit. Cache bien ton pistolet, les villageois sont déjà assez inquiets.

Affichant un air consterné, il m'attrapa par l'avant bras et me regarda droit dans les yeux, m'adressant le même regard qu'à un dégénéré.

- Mais attends ... T'es fou ou quoi ? Tu crois vraiment que quelqu'un va prendre le risque d'ouvrir la porte à des soldats, même de leur propre pays ? Sois réaliste, ils ne vont pas ...

- Khaled, fais-moi confiance.

Je l'invite à se positionner derrière un arbre, de sorte qu'aucun villageois ne puisse repérer deux silhouettes se découpant à travers le paysage. Toujours en me regardant d'un air que je lui connais bien, je commence à lui chuchoter mon plan. Après un instant de réflexion et que son regard ait examiné les alentours au fur et à mesure que le plan prenait forme dans sa tête, il se retourna vers moi.

- D'accord, tu es définitivement fou.

- Bien sur que non, mon plan tient la route ! On sait être discret, ça sera facile, mes plans sont infaillibles, dis-je d'une voix sûre et pleine d'entrain.

- « Infaillibles » ? Écoute, je suis heureux qu'on ait réussi notre évasion, mais on a bien failli se faire tuer en faisant ça ! Et puis, sans vouloir paraître grossier, ton plan n'était pas vraiment élaboré. Je te rappelle que rien ne s'est passé comme prévu, on a failli se faire tuer !

- Tu l'as bien accepté mon plan, non ? Et on est sain et sauf à l'heure qu'il est ?

- Oui, mais ce n'est pas une raison pour te prendre pour un espion et vouloir t'introduire dans une maison en pleine nuit !

Commençant à m'impatienter, je décide de jouer la carte de la logique.

- Tu as raison, peut-être devrait-on rester ici pour dormir et prendre le risque de se faire repérer et signaler par des villageois ou par des soldats qui font leur tour de ronde, sans compter qu'on a ni eau ni vivre, dis-je en faisant mine de retourner dans la forêt.

Cet argument ne joue peut-être pas en ma faveur. Peu avant notre fuite, nous avions essayé de nous infiltrer dans les réserves du camp, mais nous avons vite été repérer et nous avons été privé de vivres durant un jour entier. Ne pas manger alors que nous étions en mouvement toute la journée était un vrai supplice. En ajoutant les regards noirs que mon frère me lançait à chaque fois qu'on se croisait ce jour-là. Voyant son hésitation, j'eus l'espoir qu'il accepte et m'imaginais un instant dans un lit, dormant à points fermé.

- Bon, si c'est que pour une nuit et que nous restons discrets, j'accepte de le faire. Mais à contre cœur ! S'introduire chez des inconnus est vraiment marquant pour beaucoup.

Il veut probablement parler du jour où des soldats étaient venu chez nous pour nous emmener. Nous étions encore adolescents, dix-sept ans. On aurait pu se sentir avantager, puisque beaucoup de soldats ont commencé leur service vers quinze ans, mais nous habitions une région reculée du pays, alors nous avons pu profiter de quelque temps de plus.

Se séparer de sa famille est peut-être le plus affligeant. Du moins, ça l'a été pour Khaled. Je me souviens de ses cris, de ses supplications envers les soldats et notre père,impuissant face aux trois soldats. Ils n'avaient pas eu recours à la force pour pénétrer dans notre foyer. Dès que j'avais aperçu son regard, emplit de tristesse mais résigné à son sort, à notre sort, j'avais compris. Il le savait. Il le savait et il ne nous arien dit. Comment peut-on faire une chose pareille à ses enfants ?

J'avais l'impression d'avoir été vendu à l'armée. Nous savions que tous les hommes étaient forcés d'aller à la guerre, mais nous sommes prévenus quelque temps avant, le temps de préparer nos affaires et notre mental. L'honnêteté est toujours la solution de mon point de vue, et il aurait dû en user. Il aurait dû nous prévenir que jamais nous ne le reverrions, ou au moins à mon frère qui aurait pu anticiper cet événement avec plus de sagesse, se disant qu'il serait peut-être le sauveur de notre nation. Le sauveur de notre nation ... Maintes fois nous avons entendu cela.

« Un homme peut faire toute la différence. Un homme peut devenir le sauveur de la nation ». À croire que notre chef n'avait jamais connu la guerre. Morts et malheur, aucun autre avenir pour notre pays.

- Bon, on y va ? Me demanda Khaled en m'arrachant à mes souvenirs.

- Oui, bien sur, allons-y.

Faille psychologiqueOù les histoires vivent. Découvrez maintenant