Chapitre 2: Brasier humain

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Les tirs ont cessé. Ont-ils abandonné la poursuite ? Sommes-nous libres ? Par crainte, nous avons continué de courir quelques mètres. Encore plonger dans l'obscurité de la forêt, nous avons décidé de chercher un endroit pour dormir, nous pourrions ainsi demain continuer à marcher le plus loin possible. Le plus loin possible de tout cet enfer.

Nous marchons maintenant depuis plus de 30 minutes. Mon frère commence à fatiguer, j'entends de plus en plus sa respiration. Je sens une odeur. Une odeur de brûlé. Dans une forêt ? Durant la guerre ? Pourtant nous sommes assez loin du camp, et ils n'auraient pas eu l'idée d'allumer des lampes torches pour nous retrouver, s'ils se préoccupent encore un temps sois peu de nous, déserteurs.

      - Tu sens ça ? Ça semble être une odeur de... D'animaux morts ?

      - Je ne sais pas, mais on devrait s'éloigner un peu et continuer de chercher un abri, tu   commences à te fatiguer et c'est peut-être un piè...

Avant que j'ai pu finir, mon frère a commencé à courir. Dégageant les branches sur son passage, il commençait à se frayer un chemin, ayant pour seul compas l'odeur répugnante.

       - Attends ! On pourrait se faire repérer ! Reviens ici !

Voyant qu'il faisait la sourde oreille, je suis son chemin, le maudissant en silence. À chaque pas de fais, je replace quelques branches d'arbres, j'efface nos empreintes, je brouille les pistes. Les entraînements de survie m'auront été utiles au moins une fois dans ma vie.

L'odeur est de plus en plus forte. Elle est proche, nous le savons. Le crépitement du feu se fait de plus en plus bruyant, accélérant de temps à autre,probablement lorsque les animaux sont jetés dedans. Ou du moins, si ce sont des animaux.

Et ce fut exactement ce que nous avons vu. Des animaux. De cruelles bêtes s'en prenant à leurs victimes. Criant autour d'un brasier qui semblait tout droit sortit des enfers. La clairière dans laquelle nous débouchons semble animé par ce feu, les arbres environnants décorés par des ombres aussi menaçantes qu'imposantes. 

Je compte au moins une cinquantaine de bêtes, picolant et rigolant à chaque colonne de flammes s'élevant. Et pourtant, ils nous ressemblent. Mesurant plus d'un mètre, semblant posséder une grande artillerie et hurlant comme des loups en chasse. Car ils l'ont été, en chasse. Nos semblables ont été en chasses. Cette vision m'épouvante. Je ne me ferai jamais à ce genre de spectacle, de purgatoire où des êtres humains en exterminent d'autres. Qu'ont-ils fait pour mériter pareil sort ? Sont-ils maudits ? Étaient-ils des sorciers, sommes-nous remonté à l'époque de Salem ? Il n'y a pas que l'âme d'innocents qui vont errer ici, sans autre but que de regarder une espèce s'exterminer. Il y a des familles qui vont être déchirées d'apprendre la mort de leurs proches, du moins si eux ne sont pas encore habitués à la perte d'un être cher. 

Un peu à l'arrière, près des hommes, nous apercevons un tas. Un tas d'humains. Hommes, femmes, enfants, tous sans exception. Tous sans exception ont goûté à la mort, ont goûté à la rage des hommes. Les plus intelligents s'y attendaient probablement, les plus optimistes espéraient peut-être une mort rapide, et les plus pessimistes n'ont pas attendu que les balles viennent cribler leurs portes. Aucun espoir. C'est ce que notre chef cherche à nous enlever de la tête. « Il y a toujours une once d'espoir dans notre vie, qu'il vienne de vous ou de votre camarade de guerre, vous pourrez toujours vous accrocher à un quelconque espoir, c'est lui qui vous tiendra en vie dans les situations les plus critiques ». Quel espoir avaient ces gens, monsieur ? Quelle est la personne qui leur a permis de s'attacher à leur vie, monsieur ? Je peux facilement le deviner, j'ai moi-même le même qu'ils ont eu, mais je dois le protéger et le faire partir de ce cimetière.

        - Khaled, partons d'ici !

        - Comment ont-ils pu ... Comment peuvent-ils continuer à faire ça ? Tu n'es pas habitué   depuis tout ce temps ? C'est notre quotidien tout ça, Khaled. Suis -moi, je n'ai pas  envie qu'ils nous attrapent et qu'ils nous fassent subir le même sort.

Absorbé par ce macabre spectacle, il semble perdu dans ses pensées. Se remémore t-il tous les passages où la mort s'est montrée devant nous ? Peu importe, nous devons partir. Nous devons garder la tête froide et se mettre à l'abri. J'attrape sa manche et commence à le tirer discrètement en arrière pour rebrousser chemin. Ils ne semblent pas nous avoir repéré, c'est le plus important pour moi.

Marchant à travers la nuit, nous restons silencieux. Aucun de nous ne veut commenter ce qui vient de se dérouler. Nous ne l'avons jamais fait, nous contentant de le placer dans un coin de notre tête. Autour de nous, la forêt est lugubre. L'atmosphère y est pesant, comme chargé de lourds regrets. Peut-être le regret d'abriter plus de morts que de vivant,cela peut se tenir. Mais après tout, il n'y en a pas plus ici qu'ailleurs.


Faille psychologiqueOù les histoires vivent. Découvrez maintenant