Chapitre 12 : Une vie brisée

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-Et tu vois là, il avait cinq ans, dit Rose en montrant la photo d'un petit garçon qui avait plutôt l'air d'en avoir deux.


Elles étaient dans l'un des canapés roses prés de la bibliothèque. Tout le monde avait reprit son occupation. Les uns étaient dans leur chambre et les autres partis chasser. Il ne restait plus que Rose et Elizabeth. Cette dernière avait insisté pour que Matthew aille chasser avec ses frères et son père. Emily, Cindy et Rose pouvaient rester, ayant chasser le jour d'avant. La mère de Matthew lui montrait à présent un vieil album photo.
Le petit garçon sur la photo en noir et blanc ressemblait beaucoup à Kyle actuellement. Mais Matthew avait toujours eu le même sourire et les mêmes cheveux en broussailles, ses yeux pétillants vers l'objectif. Il semblait jouer avec un petit camion.

- Tu sais Elizabeth, dit Rose en assombrissant son regard, j'ai beaucoup espéré avoir un enfant. Normalement, les vampires femelles n'en ont pas. Mais je voulais tout tenter. Depuis que je suis toute petite, je me voyais avec deux ou trois enfants dans les bras. Et puis quand on m'a mordu...

Elizabeth hésita à lui demander comment s'était passée sa transformation. Mais Rose le remarqua.

- J'avais vingt-cinq ans, dit-elle en refermant l'album et en le posant à côté d'elle. Ma famille était issue de l'aristocratie londonienne. Ma mère ne me laissait jamais sortir avec mes amies, en ce temps là. Tu sais, on avait des robes à froufrous énormes ! Dit-elle en s'esclaffant. Je me rappelle que mon amie Charlotte avait eu l'idée de couper les dentelles... C'était catastrophique. Sa mère a fait une crise d'hystérie parce qu'on voyait ses jambes ! Dans les années 1830, les filles n'avaient pas encore le droit de montrer quelques endroits de leurs corps. Bien sûr, quand on sortait entre amies, on s'arrangeait toujours pour arracher les tissus. C'était vraiment amusant. Un moment de mon ancienne vie que je regrette parfois.

Elle se perdit dans le vague, ressassant ses souvenirs pendant qu'Elizabeth réfléchissait. Vingt-cinq ans en 1830 ? Rose devait par conséquent avoir plus de 200 ans ? Elle regarda la jeune femme qui rêvassait encore. Rose avait gardée son apparence de jeune femme. C'était fascinant. Elizabeth avait toujours voulu voir ce phénomène, déjà quand elle lisait cela dans les livres de Meyer. Rose n'avait pas la moindre ride, pas le moindre cerne. Au contraire, sa peau était si douce, pâle et belle. Aucun bouton, aucune blessure n'avait marqué son magnifique visage d'ange. Fascinant.

- Et un jour, continua Rose en sortant de sa rêverie, je suis parti à une fête avec mes amies. En le cachant à ma mère, bien sûr. À vingt-cinq ans déjà, elle ne me laissait rien faire. Sauf essayer de me trouver un mari, évidemment. Elle s'acharnait tellement à me trouver un homme riche qui m'entretiendrait comme mon père l'avait fait avec elle. Mais je savais qu'elle n'avait jamais aimé mon père. Il est mort l'année de mes 20 ans. Elle n'a même pas pleurée. Alors j'ai su.
Bref, elle sortait avec moi dans tous les salons qu'elle dénichait. Un salon de littérature, salon de causette, un autre de philosophie, de banquiers... Je n'en pouvais plus. Lorsqu'un jour, elle m'a présentée à Ernest.
Il n'était pas mal du tout. Au contraire, il avait un certain charme. Mais je ne suis pas tombée amoureuse de lui. À l'époque, nous les filles, on lisait des poèmes des plus grands romantiques qui existaient. Alors tu imagines bien ce qu'on avait dans la tête. On pensait qu'un prince allait venir nous sauver, qu'un homme romantique allait nous délivrer de nos mères qui nous tyrannisaient. Alors quand j'ai vu Ernest, avec ses fanfreluches encore plus bouffantes que les miennes, avec ce regard qui ne cessait de se poser sur mon décolleté poudré... Non, je savais qu'il n'était pas fait pour moi.
Alors un jour, mon amie Charlotte a entendu parler d'une Garden party qu'organisait son voisin. C'était un libertin, tu sais ceux qui se fichaient pas mal des règles de bienséance et de la morale. Thomas. Il m'avait aussi invité et... Oh, Elizabeth, il était si beau ! Je pensais que c'était lui mon prince charmant. Il ne portait pas de fanfreluches lui, au moins.
Le jour de la fête, Charlotte est venu me chercher par la fenêtre de ma chambre et nous avons filées en rejoignant notre amie Emma. Nous nous y sommes rendus. Je m'étais faite toute belle... J'avais découpé cette sale robe jaune à dentelles que ma mère m'avait achetée pour voir Ernest. Elle m'avait appris à coudre alors j'ai refais entièrement la robe. Je me rappelle que cela m'avait pris deux semaines pour coudre et découper les pans. Mais j'avais fini par la rendre parfaite.
Quand on est arrivées, Thomas semblait m'attendre. Durant toute la soirée, il me parlait, me baisait la main...ce genre de chose. Je suis vite tombée sous le charme. Et puis au milieu de la soirée -il faisait déjà nuit, tu sais- il a disparu. Je l'ais cherché dans toute la maison et j'ai fini par le trouver. Dans la cuisine, en train de... tu sais... avec Emma...
Je n'avais jamais ressentie cela auparavant. C'était comme si on me plantait un couteau en plein cœur. Je ne pensais pas l'aimer autant. J'ai couru aussi vite que je pouvais, m'enfuyant de cette maudite maison. Je ne savais même pas où j'allais. Je pleurais tellement...

Rose essuya les larmes qui coulaient sur son beau visage. Elle déglutit et reprit un long moment après.

-Bref, je suis arrivée dans un quartier que je ne connaissais que de nom, dit-elle en séchant les dernières larmes. Little Angleton. On disait que ce quartier était mal famé, que des monstres y habitaient. Mes amies et moi n'avions jamais osés nous en approcher.
Tandis que j'errais dans la rue, là toute seule dans le froid, j'ai entendu un bruit de pas et un homme s'est approché. Vu mon éducation très protégée, j'avais peur, très peur même. À l'époque, les hommes ne s'approchaient pas ainsi des jeunes filles. C'était déplacé. Mais je dis bonjour, étant d'un naturel poli. «Que fais-tu seule dans les rues, ma jolie ? » m'a-t-il dit en tournant autour de moi. D'abord, j'étais choquée qu'il me parle et puis le ton... Vraiment vulgaire. Je me rappelle l'avoir vu sourire. Je n'avais pas vraiment remarqué ses dents extrêmement blanches et pointues. Je lui ais répondu que je m'étais égarée et que je souhaitais rentrer chez moi. Il a sourit de plus belle et a bondit sur moi...
Je sentais quelque chose de glaciale et de pointue s'enfoncer dans ma gorge. C'était horrible. Cela me brûlait et me glaçait en même temps. J'ai crié si fort ! Mais personne ne m'entendait. J'étais seule, dans cette rue déserte, avec ce vampire qui me suçait le sang. Je suis restée consciente durant tout le processus. Je me rappelle encore son rire, sa main glaciale qui me tenait par les cheveux, là par terre en plein milieu de la route. Personne ne venait, j'étais seule. Et puis, j'ai entendu une voix d'homme et celui qui me tuait littéralement m'a lâchée. Tandis que j'agonisais par terre, perdant mon sang, j'ai vu du coin de l'œil qu'il se battait avec la personne qui m'avait sauvée. Mais m'avait-il vraiment sauvée ? Et si au contraire c'était son ami ? Et s'ils allaient terminer à deux son travail inachevé ?
J'ai soudain entendu un bruit comme un grognement et une fenêtre se briser. Puis plus rien. Je n'arrivais même pas à me lever, le venin me paralysait les membres. J'ai senti une autre main froide mais pas la même que celui de mon tueur, non, une main douce et qui semblait essayer de ne pas me blesser d'avantage. Je vis des yeux bleus me regarder d'un air inquiet tandis qu'il me portait. Mon tueur n'était plus là. Oui, mon tueur, parce que je savais que j'allais mourir. C'était comme si j'étais déjà morte. Je me suis évanouie alors qu'il marchait, me tenant toujours dans ses bras glacials.
Quand je me suis réveillée, je me trouvais dans une chambre pas très bien éclairée. D'après les rayons de soleil qui essayaient de passer par la fenêtre, il était assez tôt. Je vis des bandages sur mes bras ainsi qu'une robe blanche qu'on m'avait mise. Les souvenirs de la semaine ont alors resurgis.
Je me rappelais parfaitement la douleur. La souffrance que j'avais sentie. On me brûlait avec des centaines de fers forgés... C'était un vrai cauchemar. Je me rappelais ma gorge en feu, mes mains paralysées, mes pieds glacés. Je me disais que j'étais folle, que tout cela ne s'était jamais produit. Les vampires n'existaient pas. Mais quand je mis la main à mon cou, je senti la morsure qui me brûlait encore un peu. Je n'arrivais pas à croire ce qui m'arrivait. J'étais désorientée, déboussolée, choquée. Je regardais la chambre et je me demandais où mon sauveur m'avait emmenée. Et s'il faisait comme le monstre ? S'il m'attaquait aussi ?
Je me mis à essayer d'enlever les bandages. Mais une main m'en a empêchée. Et je le vis. Mon sauveur.
C'était le plus beau garçon que j'avais jamais vu de toute ma vie. Ses yeux bleus me regardaient de ces mêmes yeux inquiets. Il arborait une chevelure blonde qui avait quelques boucles, dont une tombait juste devant ses yeux. Il devait avoir mon âge. La pâleur de son visage me disait qu'il était peut-être malade lui aussi. J'aurais dû avoir peur, Elizabeth. Mais il m'inspirait confiance, je ne savais pas pourquoi. Je n'avais pas peur.
Il me remit les bandages tandis que mon corps obéissait à un ordre que je n'avais pas donné, m'allongeant encore une fois sur le lit. Le jeune homme vint s'asseoir à côté de moi.
« Est-ce que sa va, Rosemarie ? » me demanda-t-il. Comment savait-il mon nom ? Je ne lui avais jamais parlé. Peut-être que des affiches de ma disparition l'avaient renseigné. Je pensai alors à ma mère. Qu'allait faire ma mère, sans moi ?
Je répondis que oui, j'allais bien. Encore mieux, je ne m'étais jamais senti aussi bien, à part le feu qui me picotait un tout petit peu dans la gorge. Il me dit qu'il s'appelait Jason. Jason Miles. Et qu'il m'avait soigné pendant ma transformation. Ma transformation ? Demandais-je. Il m'a alors expliqué que j'étais devenu un vampire. Je n'arrivais pas à le croire. Tout cela était une bonne blague de Thomas qui voulait encore se moquer de moi. Mais il me montra ses dents et me dit de toucher les miennes.
Mon dieu ! Cela m'a tellement choquée ! Mes dents, principalement mes canines, n'avaient jamais été aussi pointues et, quand il me passa un miroir, je crus m'évanouir de nouveau. J'étais si pâle ! Comme si j'étais morte. Il m'expliqua alors tout. Absolument tout. Ce qu'étaient les vampires, comment il fallait se nourrir, se contrôler, se comporter parmi les humains... Tout.
Je restais encore deux semaines dans la maison, sans rien faire, parlant avec lui, jusqu'à ce qu'il me dise qu'il fallait s'en aller. Changer de villes, de nom. Alors on s'en alla, moi, abandonnant ma pauvre mère et échappant à la blessure de Thomas encore mal refermée.
J'ai vite appris à me contrôler en présence d'humain. C'était facile, je pensais aussitôt que c'était ma mère dont j'allais boire le sang et le feu dans ma gorge se calmait aussitôt, jusqu'à ce qu'on chasse des animaux. On a ainsi parcouru l'Angleterre, ne restant jamais trop longtemps dans une région. Et puis un jour, j'ai avoué à Jason mes sentiments envers lui. Il m'a avoué les siens. J'étais tellement heureuse dans ses bras ! Jamais je n'avais connu cela auparavant, ce sentiment de sécurité et d'amour. Mes sentiments pour Thomas ne signifiaient rien à côté de ceux que je ressentais pour Jason. Rien.
Et puis un jour, après trente ans de voyage, on se retrouva à Dublin. On s'était installé depuis deux semaines quand Jason est venu me dire que Simon était dans les parages. Simon. Celui qui m'avait attaqué. Le monstre qui m'avait transformé. Jason ne voulait pas que je me venge et par soucis pour lui, je n'ai rien fais. Jusqu'au jour où on l'a rencontré dans un pub.
Il était là, assis au comptoir, sirotant ce qui semblait être une bière. Vraiment abject. Les vampires ne mangent ou ne boivent pas la nourriture des humains. Il était donc si répugnant qu'il arrivait à en manger ! Jason a voulu partir mais je l'en ai dissuadé. Et il nous a vu. Et il a sourit. Je me suis rappelé le sourire qu'il arborait quand il m'avait tué... un monstre.
Faisant mine d'aller aux toilettes, j'ai laissé Jason remonter dans la voiture, moi toujours dans le pub. Il faisait nuit et il n'y avait que la serveuse, lui et moi à présent. Quand la serveuse est partie dans la cuisine, il est venu vers moi et m'a dit « comme on se revoit, ma joli. Tu n'as pas changée, à part que tu es des nôtres maintenant ». Jason m'avait dit qu'il avait tué la plupart des jeunes filles qui avaient disparus dans mon quartier, et que partout où il allait il cherchait des filles à transformer. Je voulais me venger et les venger toutes. Il avait détruit nos vies.
Tandis que je lui bondissais dessus, la serveuse est arrivée et a poussée un cri, ce qui a alerté Jason qui m'attendait dehors. Il est venu récupérer la serveuse, tout en lui effaçant la mémoire. Il avait un pouvoir psychique très fort. Il arrivait à lire dans les pensées, à effacer la mémoire et à obliger quelqu'un à faire quelque chose.  Quand il est revenu, Simon m'avait plaquée contre le mur et m'étranglait. Jason m'a encore une fois sauvé...
Tandis que je luttais contre Simon, Jason à mes côtés, le feu a pris dans la cuisine à cause de la lutte. L'incendie nous entourait à présent mais on luttait toujours. Puis, dans un élan monstrueux, il l'a poussé dans les flammes. Simon avait tué Jason.

Elizabeth, les larmes aux yeux, se rendit compte que Cindy et Emily les avaient rejoints. Elles aussi écoutaient le récit de Rose, les larmes aux yeux.

- Une fureur comme jamais depuis ma transformation m'envahit et je décidais d'en finir, continua-t-elle tandis que de grosses larmes coulaient à travers son visage. Je lui bondis dessus alors qu'il regardait périr Jason en rigolant. De ce rire si horrible. Je lui pris à la gorge par surprise et l'envoya dans les flammes qui avaient calcinées tout le pub. Quand j'entendis des sirènes de pompier, je partis, laissant à jamais derrière moi Jason, mon unique sauveur.

Elle fit une légère pause, respirant un grand coup. La porte d'entrée s'ouvrit soudain, laissant entrer Alexandre et les trois garçons. Ayant entendu le récit de sa femme depuis le couloir de l'immeuble, des larmes coulaient sur son visage tandis qu'il la rejoignait sur le canapé. Luke s'assit à côté d'Emily, Kyle prés de Cindy et Matthew aux côtés d'Elizabeth, séchant les larmes de celle-ci avec sa main.

- Je passai un an toute seule, allant de villes en villes et ne sachant comment vivre, dit-elle en regardant son mari. L'année de mes cinquante-cinq ans, je suis allée en Amérique. Le pays où tout était possible. Je me suis retrouvée par hasard à Los Angeles. Je travaillais dans un bar, pas loin de l'aéroport. Et puis le jour du Nouvel an, le 31 décembre 1862, j'ai recommencé à vivre. Ce jeune homme qui me regardait m'avait troublée. Nos yeux ne se quittaient plus. C'était comme s'ils étaient connectés. Je ne pouvais pas m'éloigner de ce bar, de lui... Je sentais qu'il n'était pas humain, mais je ne savais pas pourquoi. Il sentait une odeur bizarre qui me détendait. Il revint tous les jours pendant six mois jusqu'à ce qu'il se décide à me parler.

Éternité, Tome 1 : RenaissanceOù les histoires vivent. Découvrez maintenant