Lettre du 30 août 1936

396 73 78
                                    


30 août 1936,

My love,

L'été demeure, chaud et envoûtant, alors que nous sommes presque en septembre. Dans mon petit appartement sous les combles, dans le quartier Latin, on ruisselle de sueur plus vite que lors des moissons. C'est insupportable mais je ne partirais pour rien au monde.

Je ne suis installé que depuis trois jours et pourtant j'ai déjà fait mien ce petit une pièce. Ce n'est plus une chambre mansardée tout juste bonne à y coucher, c'est un véritable nid désormais. J'ai accroché aux murs les photos ainsi que les dessins que j'ai faits de nos campagnes et de toi, sur mon lit j'ai posé le patchwork cousu par ma mère et mes livres de poésie et de théâtre trônent en de glorieuses piles là où il reste de la place.

Ma logeuse, une vieille femme ronde cachant sous son chignon et ses lunettes une véritable commère, a eu tôt fait de raconter à toutes ses amies qu'elle avait un nouveau locataire. Un lord anglais avec ce petit charme caractérisant les gens venus d'Outre-Manche et avec un petit accent à faire tomber amoureuse n'importe quelle fille.

Maintenant, dès que je sors, je suis assailli par une nuée de sexagénaires battant des cils comme des adolescentes et me prenant par le bras, m'offrant de découvrir les merveilles de Paris. Ah, si elles savaient...

Et oui, tu as bien lu, pour eux je suis un Lord venu tout droit d'un château perdu dans les brumes d'une campagne anglaise et lointaine. Cela me fait sourire, je perdrais sans doute beaucoup de mon charme si je leur disais que j'ai grandi dans une ferme entre la boue des cochons et les fientes de poule.

D'ailleurs, en parlant de cela, comment vont les affaires? Les moissons doivent être terminées maintenant et j'espère que, contrairement à l'été précédent, des orages ne vous auront pas fait perdre trop de blé. Es-tu allé à la fête du village comme chaque année début août ? J'en doute, tu n'y allais que parce que je t'y traînais de force ; tu considérais ce genre de divertissements comme une perte de temps. C'est vrai qu'il y avait tant à faire à la ferme en cette période de l'année. Ou peut-être y as-tu emmené une fille, pour le plus grand plaisir de ton père. Je ne t'en voudrais pas si c'était le cas, je sais très bien qu'elle t'attire autant qu'un tas de fumier. Tu détestes leurs robes salissantes, leur rire gloussant et leur manie de tortiller leurs cheveux quand elles te parlent.

Et toi, est-ce que tu m'en voudrais si je te disais avoir accepté l'invitation d'un jeune homme ? Nous irons ce soir au cinéma voir un de ces films dont tout le monde parle. Nous nous sommes rencontrés à Londres où j'ai appris que, originaire de France, il était en visite chez un vieil ami mais n'allait pas tarder à rentrer au pays. C'est au jardin des plantes que nous nous sommes recroisés sans vraiment le vouloir et qu'il m'a invité.

Tu es jaloux, tu auras beau le nier en lisant ces lignes, je le sais, je suis même sûr qu'en ce moment même, tu froisses le papier entre tes mains et hésites à le déchirer sans lire la suite. Ce serait idiot car cet homme, bien que très beau et très charmant, est marié depuis peu et sa femme attend même un enfant.

Je sais, c'était puéril de ma part de chercher à éveiller ce sentiment en toi mais que veux-tu, j'ai toujours aimé te faire enrager. Plus j'aime quelqu'un, plus je le taquine, c'est sûrement pour ça qu'on se disputait autant tous les deux. Si nous étions l'un en face de l'autre, tu me plaquerais sur un sol couvert de paille et on se lancerait, un peu à contrecœur pour moi, dans un de ces duels amicaux que tu affectionnes tant.

Cela me fait penser qu'il y a un club de boxe, trois rues plus bas que mon appartement, près de la Seine. Je n'ai pas l'intention de m'y inscrire, je déteste ce genre de sports brutaux, mais cela m'a fait penser à toi, tout comme les cloches de Notre Dame. Tu maudissais celles de chez nous que tu entendais à peine, ici tu deviendrais fou et je n'ose imaginer le mal de tête de ceux habitant juste à côté de la cathédrale.

Que te dire d'autre ? Ah, oui, j'ai terminé les formalités pour m'inscrire à la Sorbonne, ce fut fastidieux et cela me demanda quatre heures de dialogue avec divers représentants de l'administration prétendant tous ne pas avoir reçu mon dossier mais finalement j'ai réussi. Ils se servaient de mon dossier pour caler le pied d'une table et ce depuis près de quinze jours. Et aucun n'a su me dire comment il était arrivé là même si l'un deux a fini par me dire que, n'ayant stipulé nulle part que je parlais français, ils m'avaient presque rayé de la liste des possibles étudiants. Pourtant, tout était rédigé en français.

A part ce petit incident, rien de notable, la vie suit son cours, paisible comme la Seine que je vois en montant sur le toit par le vasistas. Je commence à me dire que ce ne sera pas si dur, en fait, de me faire à la vie en ville, en France et surtout à la vie loin de toi. Même si tu me manques à chaque instant de la journée, je tiens bon en regardant les photos de toi et en me disant que, pour Noël et quelques semaines, je reviendrais. J'espère que tu m'enverras vite une lettre pour me dire que mon absence aussi t'est douloureuse et que tu m'aimes plus que tout.

Tendres baisers parisiens.
                                                                                                                                                                                                           Sean O.

Hey!

Encore une petite lettre introductive servant surtout à planter le décors de sa vie à Paris.

Dans la prochaine lettre le côté historique commencera véritablement et la logeuse fera une autre apparition!

Hymne à nos masquesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant