28 février 1937
My love,
Alors que nous faisions doucement route vers le printemps et après un hiver fait de pluies torrentielles et de crues, la Nature a soudainement retourné sa veste en décidant de déverser des cieux non plus des trombes d'eau mais de la neige. D'ordinaire je me serais réjoui, mais en ville, pas d'immenses tapis blancs et purs, non, la neige se transforme vite en une immonde mixture épaisse et brunâtre.
Et en plus de cela, la Seine, ainsi que les quais sur lesquels elle avait allégrement débordé durant ces derniers jours, ont entièrement gelé, transformant les rives en patinoire. En soit ce n'est pas vraiment dangereux, il suffit juste de ne pas s'aventurer sur les endroits recouverts de glace, mais cela est devenue réellement amusant lorsqu'en rentrant de l'Université j'ai vu toute une horde d'enfants qui, bravant les interdits parentaux, s'amusaient à glisser sur le quai. J'ai même aperçu Claus avec, agrippé à son bras comme à une bouée de sauvetage, une fillette brune à l'air concentré qui devait sans aucun doute être sa petite amoureuse.
J'en profite, avant d'oublier et d'y revenir plus tard sans que cela n'ait de sens, pour te remercier d'avoir emmené mes sœurs patiner et je suis heureux de savoir qu'elles ne t'ont pas posé plus de soucis que cela, je suis bien placé pour savoir qu'elles sont parfois insupportables.
Hélas ! Glisser gracieusement sur la glace est un exercice demandant une certaine dextérité et certains, malgré une pratique acharnée, n'y parviendront jamais. C'est le cas de ma logeuse qui s'est retrouvée sans le vouloir dans une situation plutôt cocasse.
Vois-tu, les rives ne sont pas les seuls endroits de Paris à être verglacés mais ce sont ceux auxquels nous prêtons le plus d'attention tant cela est inhabituel. Alors, un matin que ma logeuse sortait pour aller au marché, elle ne s'est pas méfiée en posant le pied sur les pavés et ce fut là une grave erreur car une traîtreuse plaque de glace la propulsa en avant, la forçant à faire des moulinés avec ses bras pour se maintenir debout. Au bout de quelques glissades, elle finit par s'avachir à moitié contre un réverbère qu'elle agrippa comme si sa vie en dépendait.
Elle n'a laissé dans ce petit incident qu'un peu de sa dignité et une cheville, heureusement juste foulée.
Le docteur lui a formellement conseillé de marcher le moins possible alors les enfants du second se relaient pour lui faire les courses, la cuisine, le ménage et les mille et une petites tâches que requiert le quotidien. Au début, j'avais songé à les aider mais, en entendant la plus jeune, une petite d'à peine quatre ans, me raconter avec fierté que c'était elle qui, tous les matins, allait acheter le pain, j'ai renoncé. Pour eux, ce n'est pas un travail ni même une corvée mais une sorte de jeu permettant de prouver aux adultes qu'eux aussi sont, à leur manière, des grands.
A moins qu'ils ne veuillent juste échapper aux pleurs retentissant à toute heure dans leur foyer depuis ce soir où, en rentrant des cours, j'avais trouvé tous les petits assis dans le hall, visiblement bannis de l'appartement. Alors, assailli par une nuée d'enfants cherchant un peu de compagnie, c'est finalement Claus qui m'avait informé que sa mère était en plein accouchement et qu'ils ne devaient pas rentrer pour ne pas la perturber.
D'ailleurs, même le père avait déserté la maison car, en montant les escaliers, je l'avais trouvé assis devant la porte, le regard anxieux. Et, ne voulant pas ajouter à sa charge cinq enfants surexcités, je lui avais alors proposé de les prendre avec moi.

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Hymne à nos masques
Tarihi KurguAoût 1936, trois ans avant le début de la guerre, Sean arrive à Paris. Il vient d'un petit village anglais et rêve depuis longtemps de la capitale française. Dans son petit une pièce il écrit à son amant. Ses cours de littérature, ses voisins...