21 septembre 1937,
Clayton,
Je ne peux pas.
Je ne suis pas de ceux qui savent claquer la porte et ne jamais revenir.
Je suis de ceux qui ne peuvent faire autrement que revenir.Chaque fois cela me fait aussi mal que si on m'abattait une masse sur le cœur.
Et puis toi tu es déjà revenu.
Te souviens-tu ?
Nous avions seize ans et j'avais embrassé une fille. Par curiosité. Parce que c'était l'été et que tu travaillais trop pour me voir. Parce que ses cheveux blonds me rappelaient les tiens. Tu nous avais surpris, tu étais parti puis tu étais revenu. Triste. Peut-être que ta colère était déjà partie, peut-être qu'elle n'était jamais apparue. Ce soir-là, pour la première fois, je te laissai me faire l'amour. Et tes larmes coulèrent sur mon corps.
Tu as envoyé une lettre à ma logeuse. Tu lui as écrit dans un français maladroit et à peine compréhensible que tu t'inquiétais pour moi, que tu voulais savoir où je me trouvais. Et elle t'a répondu qu'elle n'en savait rien, qu'un matin de juillet j'étais arrivé en larmes et que j'avais bredouillé que je reviendrais.
Je pense que je te dois au moins des explications.
J'ai lu tes lettres.
Je n'ai pas pu m'en empêcher. J'en ai ouvert une puis, comme un enfant cédant à la tentation d'une boîte de bonbons, je me suis jeté sur une autre et encore une autre jusqu'à ce que je sois entouré de feuilles et d'enveloppes déchirées.
Cent cinquante-cinq lettres. Je ne sais combien de pages. Et un seul message. Toujours les trois mêmes mots revenant sans cesse. Combien de fois les as-tu écrits ? Mille fois ? Dix mille fois ? Sans doute plus. Ou peut-être beaucoup moins.
Tu es désolé.
Moi aussi. Car ces mots, tes mots, ne me font rien.
J'ai été triste.
J'ai été en colère.
Je m'en suis voulu.
J'ai parfois eu tous ces sentiments en même temps.
Mais aujourd'hui je ne ressens plus rien.
Je ne t'en veux plus. Je ne suis plus triste. Je ne ressens plus ni colère ni culpabilité. Juste de l'indifférence.
Tu dis m'aimer, encore, tu dis n'aimer que moi.
Et je te crois.
Je sais que tu ne l'as pas épousée par amour mais par pression familiale.
Je ne te reproche pas le mariage. Je ne suis pas stupide, je savais que ça arriverait un jour. Mais je pensais que lorsque ce moment viendrait, tu me parlerais. Je pensais que tu chercherais à me faire comprendre que cela ne changerait rien entre nous.
Je l'aurais accepté tu sais, ce mariage, si tu m'avais prévenu. Tu as essayé de le faire. Tes ratures dans les lettres que tu m'envoyais, ta réticence à voir Louise venir cet été, oui, tu as essayé. Mais au final tu n'as fait que cela, essayer, tu n'as rien dit. Et c'est pour cela que je t'en ai voulu.
Est-ce que je t'aime encore ?
J'exagérais lorsque je disais que tes lettres ne contenaient un seul message car cette question revenait aussi très souvent.
Est-ce que je t'aime encore ?
Crois-tu vraiment que sept ans d'amour puissent être effacés comme cela, en même pas trois mois ? Bien sûr que je t'aime encore. Mais penses-tu vraiment que tout va redevenir comme avant ?
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Hymne à nos masques
Fiksi SejarahAoût 1936, trois ans avant le début de la guerre, Sean arrive à Paris. Il vient d'un petit village anglais et rêve depuis longtemps de la capitale française. Dans son petit une pièce il écrit à son amant. Ses cours de littérature, ses voisins...