2 juin 1937
My love,
Je comprends ton inquiétude au sujet de Louise mais sois certain qu'elle ne révélera rien concernant notre relation. Je sais que tu crains également qu'elle ne s'éloigne de moi, tu me connais assez bien pour savoir que je réagis de façon assez violente à l'abandon, et ce fut le cas. Durant les quelques jours qui ont suivi sa découverte, elle ne me parla que très peu et au travail je retrouvais même la Louise des débuts, muette et efficace.
Je n'ai rien dit moi non plus, me pliant à cette distance qui me faisait souffrir car je comprenais les raisons motivant cet éloignement. Et pourtant, tous les soirs lorsque nous dînions, j'étais plein d'espoir de l'entendre me parler. De sa journée, de ses lectures, de l'expédition qui la passionne toujours, de n'importe quoi. Jamais elle ne le fit.
Et puis, aussi soudainement qu'elle s'était murée dans le silence, elle en sortit et son comportement changea radicalement. Notre amour devint le centre de ses pensées, de ses paroles et de ses réflexions.
J'étais en train de travailler mes cours lorsqu'elle commença son interrogatoire. Notre rencontre, le moment où nous avions su que nous étions amoureux, nos sujets de conversation, nos points communs et nos différences. Elle ne me laissait pas le temps de répondre, entassant les questions comme le linge dans un panier un dimanche de lessive.
Et elle continua, inlassablement. Lorsque nous nous promenions dans les rues de Paris, elle voulut savoir si je faisais souvent de même avec toi ; quand on sortit au théâtre, elle me pressa de savoir si l'on y était déjà allés ensemble ; au moment où Paul embrassa chastement sa fiancée pour lui dire au revoir, je sentis son regard sur moi et le soir en rentrant je ne pus échapper à la question.
Au début j'ai cru cette curiosité presque malsaine motivée par la jalousie. J'avais eu exactement le même comportement lorsque tu avais commencé à jouer au criquet. Je voulais tout savoir des entraînements, de tes coéquipiers, de ton entraîneur, je ne parlais plus que de cela. Je me souviens que ça me rassurait de savoir que tu considérais ce joueur-ci comme un lourdaud, cet autre comme un idiot ou encore que cela te plaisait mais pas autant que de passer du temps avec moi. Aujourd'hui je me rends compte que tu avais sans doute modelé tes réponses pour les faire correspondre à ce que je voulais entendre.
Mais j'ai ensuite compris qu'il n'en était rien.
L'esprit de Louise est celui d'une scientifique animée par un profond besoin de comprendre. Peu lui importe de savoir que les avions peuvent voler, que les voitures peuvent rouler ou qu'un médicament soigne une maladie, ce qu'elle veut au plus profond d'elle-même c'est savoir comment. Comment un avion peut-il voler ? Comment une voiture peut-elle rouler ? Comment un médicament peut-il soigner une maladie ?
Comment un homme peut-il en aimer un autre ?
Les questions de Louise ne poursuivaient que ce but, comprendre comment notre relation fonctionnait.
Et pour cela elle utilisa un procédé bien simple : la comparaison.
D'un côté il y avait nous deux, des hommes, de l'autre Paul et sa fiancée, un homme et une femme.
Avec autant d'ardeur qu'elle avait décortiqué notre relation, Louise entreprit de faire de même avec celle de nos amis, se montrant étonnement subtile et préférant souvent l'observation au questionnement direct.

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Hymne à nos masques
Fiksi SejarahAoût 1936, trois ans avant le début de la guerre, Sean arrive à Paris. Il vient d'un petit village anglais et rêve depuis longtemps de la capitale française. Dans son petit une pièce il écrit à son amant. Ses cours de littérature, ses voisins...