Chapitre 8 (2)

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— Oh, vous savez la passion que peut déclencher une partie de bridge, surtout chez les perdants, expliqua Henri Mercier, le partenaire d'affaires de la première victime.

Le soleil de midi inondait le petit salon alors qu'Alceste menait son premier entretien. L'homme lissa sa moustache machinalement, remarqua le détective. Un signe d'anxiété. Alceste leva un sourcil.

— Quel genre de passion cette partie-là avait-elle déclenché ?

— Ce que vous avez entendu, monsieur Allaire, ne sont que les perdants remettant en question l'honnêteté des gagnants, ou une chose de la sorte. Tout ceci est tellement naturel que je ne m'en souvenais même plus. Surtout avec madame Tullier. Cette dame a un caractère de feu, précisa-t-il d'un air désapprobateur.

— Rien à voir avec vos affaires, donc ? pointa Alceste, levant le regard de son carnet pour observer le jeune homme.

— Aucunement, répondit-il d'un air sec. Monsieur Tullier n'était pas présent à la table, et je n'avais aucune raison de m'entretenir de ses affaires en présence de monsieur Delcourt et de sa sœur.

Alceste ponctua la réponse d'une petite note manuscrite. Henri Mercier se montrait nerveux et sur la défensive.

— Et après la partie de cartes ?

— Je suis retourné à ma cabine. Il était largement l'heure de se retirer. Je n'ai croisé personne, mais je vous ai entendu discuter avec un membre d'équipage. Il se trouve que je dors seul, anticipa-t-il.

— Bien entendu, répondit Alceste. Merci pour votre aide, toutes mes condoléances pour le décès soudain de votre partenaire, monsieur Mercier.

Henri Mercier sembla surpris de cette dernière remarque. Il garda le silence, puis s'éloigna après une brève salutation. La mort de son partenaire d'affaires l'affectait, mais la mention de la dispute après la partie de bridge l'avait rendu anxieux. Alceste peinait à croire à une simple querelle de mauvais perdant. De plus, le frère Delcourt et sa sœur semblaient trop raffinés pour s'abaisser de la sorte.

Et s'il s'agissait tout de même d'une altercation avec Marie Tullier au sujet des affaires de son cousin ? Monsieur Mercier n'envisageait même pas de parler affaires avec la dame, mais elle... Il se souvint de l'esclandre qu'elle avait mené à la réception du Grand Hôtel Frascati : elle n'avait pas l'autorisation de récupérer les lettres professionnelles destinées à son cousin. Peut-être souhaitait-elle participer aux affaires Tullier et se montrait-elle frustrée d'être ainsi laissée de côté.

Après cet entretien fructueux, Alceste quitta le petit salon et s'étira sur le pont de l'Île de France. Il marcha quelques pas le long du pont rutilant, baigné d'un franc soleil de juin, son carnet sous le bras. Accoudé à la rambarde, il observa l'océan, calme et reposant. Il se laissa bercer par le doux bruit des vagues clapotant contre la coque du paquebot. Peu importaient ces histoires humaines face à une telle immensité.

L'arrivée à New-York était prévue pour le lendemain. Peut-être était-ce pour cela que le capitaine avait donné un peu de latitude à Alceste dans son enquête : il espérait encore arriver à destination avec un suspect aux arrêts. Croyait-il réellement Alceste capable d'un tel exploit ? Dans tous les cas, c'était sa chance de montrer de quoi il était réellement capable, malgré l'opinion les gens sur ses interventions précédentes à Paris. Son père lui ouvrait des portes mais Alceste ne devait ses découvertes qu'à son talent propre, et il le prouverait. Il se redressa et chercha Marie Tullier du regard : il devait en apprendre plus sur l'état d'esprit de la jeune femme.

Après avoir arpenté tout le pont de la première classe, les recherches d'Alceste furent vaines, comme il le craignait. Madame Tullier ne se montrait guère en public depuis le meurtre de son cousin. Alors qu'il se dirigeait vers la cabine de capitaine Saurin, le détective aperçut lord Canterbury en discussion avec une dame. Curieux, Alceste s'approcha et reconnut Lynn Lockhart. Celle qui montrait une telle désapprobation pour les actions du lord britannique. Les deux jeunes gens regardaient l'océan, le visage sérieux. Mademoiselle Lockhart croisait les bras en signe de repli, et lord Canterbury semblait mener une argumentation, la tête droite, les gestes accompagnant une parole sûre. Alceste nota la rencontre sur son carnet.

Meurtre à l'AncienneOù les histoires vivent. Découvrez maintenant