Chapitre 12

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Toute l'assemblée se tourna vers le discret conseiller financier, assis silencieusement aux côtés du lord. Il arbora une mine surprise qui semblait dire « Moi ? Mais pourquoi ? » Puis il rassembla ses forces.

— D'où vous vient cette idée étrange, jeune homme ? Comme vous le savez si le capitaine Saurin a partagé nos dépositions avec vous, je me trouvais en compagnie de lord Canterbury, dans ses appartements, jusqu'à plus d'une heure du matin.

L'élégant lord britannique sembla hésiter, tandis qu'Adèle, le dos tourné à son frère, s'agita maladroitement sur sa chaise.

— Monsieur Carlisle, je suis ravi que vous ayez abordé le sujet de votre alibi. Quelle belle construction de votre part ! En réalité, je pense que lord Canterbury a corroboré vos dires car il est gêné. Il ne se souvient plus de sa fin de soirée et ne saurait l'admettre. Mylord, un meurtre est en jeu. Qu'en dites-vous ?

— Et bien, hésita Canterbury d'un air peu assuré. Il est possible que mon souvenir de la soirée soit... partiel.

— Et madame Montrouge, si élégante, si assurée, si entreprenante en début de séjour, devient soudain froide et distante.

La dame devint plus blanche que son frère.

— Elle était vexée, vous savez. Vexée que vous ne vous souveniez plus de votre soirée, car vous étiez en sa compagnie. Marie Tullier a décidé de protéger l'honneur d'Adèle. Était-ce par solidarité, entre femmes victimes d'un monde d'hommes ?

Adèle et Marie croisèrent leur regard et gardèrent un silence gêné. Pierre Delcourt se tourna vers sa sœur, blême. Avant que quiconque ne puisse lui voler la parole, Alceste reprit son explication.

— Votre plan, monsieur Carlisle, était d'enivrer votre employeur dans ses quartiers puis de le quitter vers minuit. Ensuite, vous retrouveriez Charles Tullier pour l'assassiner dans la chapelle. Enfin, vous pouviez revenir dans la suite de lord Canterbury pour faire mine de ne la quitter que vers une heure du matin, garantissant un alibi solide. Lord Alastair était bien trop saoul pour se souvenir de votre départ et vous saviez qu'il serait trop fier pour admettre une telle faute de conduite. Seulement, vous ignoriez les douces promesses que notre prince charmant avait faites à la plus belle dame du voyage. Vous ne saviez pas qu'en votre absence, une courte visite romantique s'était tenue dans la suite de votre employeur.

— Monsieur Allaire, nous voyons bien que vous arrivez à court de suspects, reprit Robert Carlisle de sa voix douce et fluette. Pourquoi aurais-je fait une chose pareille ? En effet, lord Alastair avait peut-être un peu trop bu ce soir-là, et je me suis éclipsé plus tôt pour revenir vérifier son état dans la nuit. Mon silence ne vient que d'une volonté de protéger la réputation d'un employeur de longue date. Dites-nous plutôt quelle raison monsieur Charles Tullier aurait-il eue de me faire chanter ? Je ne suis qu'un modeste employé du domaine.

— Je vais vous raconter une petite histoire, sourit Alceste en joignant les mains dans le dos. J'ai passé le second dîner du voyage à table avec lord Canterbury et vous-même. À cette table se trouvaient également miss Lockhart et la victime. Monsieur Tullier a fait allusion à une perte d'argent, une mauvaise opération que lord Canterbury aurait conduite, ce que votre employeur a nié en bloc. Je pensais à de la fierté.

— Les britanniques affectionnent la discrétion, coupa Canterbury, mais nous ne mentons pas. Je n'ai placé d'argent sur aucune société de transport, et si monsieur Tullier, avec respect, connaissait son marché, il le saurait. Ce n'était pas la première fois qu'il commettait pareille erreur en ma compagnie, c'est la raison précise pour laquelle j'ai refusé de traiter avec lui.

Meurtre à l'AncienneOù les histoires vivent. Découvrez maintenant