Meurtre à l'Ancienne

Chapitre 11 (1)

Lorsqu'il entra dans le petit salon, Alceste dût admettre que la pièce ne perdait rien de sa majesté malgré les atroces fanfreluches de style Art Déco qui l'ornaient. Ce matin-là, la salle, alors presque déserte, n'en paraissait que plus imposante encore. Le capitaine Saurin avait réuni un petit comité de passagers, conformément à la demande d'Alceste. Le détective fut presque surpris de constater que le capitaine et les invités s'étaient tous prêtés au jeu, même s'il en soupçonnait certains de guetter les potins. Un chapelet de têtes apprêtées se retourna au claquement des talons du jeune homme. Johanna Wesley lui adressa un court hochement de tête et un regard complice. La vieille dame s'amusait comme une folle.

Rassuré par calme de l'assemblée malgré le retard d'Alceste, le capitaine se leva pour l'accueillir.

— Pourquoi tant de cérémonies ? murmura-t-il en serrant la main au jeune homme.

— La tradition, capitaine. La tradition...

Esquissant un sourire, Alceste s'installa face au groupe d'un air confiant. Gêné, le capitaine s'assura que ses hommes gardaient les portes du petit salon, s'essuya le front, puis donna la parole à Alceste avant de s'asseoir en retrait.

— Comme vous le savez tous, Charles Tullier, industriel à la tête de l'une des compagnies sidérurgiques les plus prospères du continent, a été sauvagement assassiné dans la chapelle de l'Île de France, voilà trois jours, à minuit. D'après le message retrouvé dans son veston, il était venu sur rendez-vous, et connaissait donc son agresseur.

Mal à l'aise sur leur chaise, certains invités se redressaient légèrement, d'autres se raclaient la gorge ou exprimaient un certain dédain face à une élocution aussi directe. Aucune de ces expressions ne trahissait de honte ni de culpabilité, remarqua Alceste. Après quelques secondes de silence, le détective reprit la parole.

— Comme vous le savez également, je n'en doute pas, il serait impliqué dans une sombre affaire de chantage, obligeant de cette manière lord Alastair, ici présent, à épouser sa fille. Ne protestez pas encore, mylord, je n'ai même pas commencé, sourit Alceste. Cette information émane d'une dame de compagnie un peu curieuse, trop peut-être, réduite elle-même au silence avant-hier soir. Enfin, la nuit passée, la passagère témoin de la conversation en question, miss Lockhart, a été agressée sur le pont du paquebot.

Le capitaine rougeaud s'agita sur sa chaise alors que plusieurs regards se tournaient vers la jeune femme, calmement assise en retrait, son bras blessé élégamment couvert d'un châle de soie. Le silence se fit tendu, comme si la salle elle-même retenait son souffle.

— C'est un affaire très commune, reprit Alceste en s'installant sur le coin d'une table. Un bon parti, jeune, célibataire, titré et fortuné — il est rare de trouver cet assemblage ces dernières années — une affaire prospère, des fiançailles, un chantage... S'il est vrai que lord Canterbury était soumis à un chantage le forçant à prendre épouse, alors permettez-moi de souligner que toutes les jeunes femmes célibataires ici présentes auraient intérêt à voir la source de ce chantage mise sous silence. Vous par exemple, mademoiselle Tullier.

Marie Tullier, vêtue de noir, releva la tête d'un air outré. Alceste tendit la main pour l'empêcher de protester. Certains visages se détendirent, comme rassurés que le détective ne les ait pas pris pour cible. Encouragé par la coopération diligente des passagers présents devant lui, Alceste sentit son cœur s'alléger. Il attendait ce moment depuis plusieurs heures maintenant et dût se retenir de montrer la personne qu'il suspectait du doigt séance tenante. Calmant ses ardeurs en rajustant ses pince-nez avec une lenteur délibérée, le jeune enquêteur reprit la parole dans un silence de plomb.