Le voiturier ouvrit la porte arrière. L'air et le bruit s'engouffrèrent dans l'habitacle, gravant une moue sur le visage fin d'Alceste Allaire. L'activité battait son plein dans le port du Havre en cette belle après-midi de juin.
« Le Grand Hôtel Frascati, Monsieur.
- J'ai vu, oui. »
Alceste sortit de la voiture. Les porteurs de l'hôtel déchargeaient ses valises pendant que le chauffeur se préparait à repartir. Le jeune homme leva le nez et s'offrit à la fraîcheur de la brise. Il allait enfin pouvoir se reposer. Dominé par le goéland de bronze de la Compagnie Industrielle Maritime, le Grand Hôtel Frascati se détachait sous le ciel bleu. Alceste fit quelques pas en direction de l'entrée où l'attendait un membre du personnel. Il était habitué à la grandeur des monuments parisiens, mais il dut reconnaître la prestance de la bâtisse. Il promena son regard le long de la pierre, admira la grande porte qui menait au hall d'entrée. Il ajusta le col de sa chemise autour de son cou frêle et passa une main dans ses cheveux en bataille avant de pousser la porte de l'hôtel à la suite de l'employé.Le Grand Hall était à la hauteur de sa réputation. La vaste entrée était ornée de riche mobilier de bois, rideaux luxueux, comptoirs vernis et décoration de goût. Alceste hocha la tête, il avait eu raison de descendre ici pour la nuit. Il aperçut le Grand Escalier au fond de la salle et observa l'immense coupole de verre qui coiffait l'ensemble. Style Art Déco. Dommage, grimaça le jeune homme, c'était presque parfait.
« Monsieur Allaire. Votre réservation est bien enregistrée, la chambre devrait être prête sous peu. Je vous invite à attendre au petit salon.
- Bien, bien... »
Le réceptionniste s'apprêtait à ajouter les formules d'usage, la disponibilité d'un bar, nous vous prions de nous excuser pour l'attente, etc. Mais Alceste, désintéressé, se dirigeait déjà vers les sièges disposés le long des persiennes, sous le soleil. Manteau sur un bras, sacoche sous l'autre, il sélectionna un large fauteuil avec soin et s'installa. Sa position offrait une vue imprenable sur la réception, en toute discrétion.Une fois assis, Alceste s'attarda sur l'arrivée remarquée d'une grande dame blonde, aux gestes décidés et au regard franc. La tête haute, elle s'approcha de la réception d'un pas ferme. La conversation qui s'ensuivit ne semblait agréable ni pour la dame, ni pour le réceptionniste. Alceste saisit son journal et garda un œil discret sur la rencontre.
Le sujet semblait banal, une histoire d'autorisation - ou, en l'occurrence, d'interdiction - à récupérer du courrier. La gestuelle grandiloquente de la femme repoussait la politesse contrainte du jeune homme dans ses retranchements. Alceste prit note de l'allure fière de la jeune dame, ses gestes courts, son regard perçant. Le réceptionniste, quant à lui, gardait les mains contre la poitrine, le dos courbé, le regard fuyant.Au bout de quelques minutes, comprenant sa cause perdue, la belle dame claqua des dents et tourna les talons. Elle se dirigea vers la sortie à grandes embardées et bouscula un client sur son passage. Abasourdi par tant de fougue, l'homme resta coi. Il haussa les épaules et reprit le bras de la dame qui l'accompagnait avant de s'approcher de la réception. Un geste de la main autour de ses épaules, une poignée ferme mais retenue ; l'homme se montrait familier avec la dame qu'il accompagnait. La femme, à peu près le même âge, arborait une longue chevelure brune qui tranchait avec ses lèvres écarlates. Elle tendit son étole à l'homme qui s'en saisit machinalement. Sans gêne mais sans aucune intimité, nota Alceste. Il s'attarda sur leurs yeux éclatants, tous deux vert-de-gris : ils étaient frère et sœur.
Alceste saisit sa sacoche. D'un son métallique familier, il en sortit un carnet de notes. Quel agréable ballet social ! Il commença à prendre des notes, le visage ourlé d'un léger sourire. Son étude commençait par l'observation du commun, des grandes dames, des frères, des sœurs. Après plusieurs mois de formalités, il avait enfin réussi à obtenir un entretien à New York avec un célèbre tueur, quelques jours avant son exécution. Alceste sentit son cœur s'accélérer à l'idée de cette rencontre.
« Dépêchez-vous, bon sang ! » tempêta une voix à l'accent prononcé.
L'homme venait à peine d'entrer qu'il affolait déjà les porteurs de ses gestes courts et secs et donnait des ordres en anglais à l'homme qui l'accompagnait. Apprêté et élégant, son compagnon portait un costume noir et blanc. Rasé de près, il avait coiffé sa chevelure grisonnante avec soin : le valet de l'Anglais pressé. Il disparut en quelques secondes, emportant bagages et porteurs en quelques gestes efficaces.
Le maître se dirigea vers la réception. De grande stature, l'homme arborait un visage altier et une tenue étudiée avec soin. Le regard d'Alceste s'attarda sur ses yeux d'un bleu perçants et ses épaules musclées. Il haussa un sourcil, le britannique devait attirer les regards de ces dames. Ou pas. Une petite demoiselle vint récupérer une clef de chambre. Elle toisa le Britannique et s'éloigna d'un air désapprobateur.
Alceste replaça le carnet dans sa sacoche et vérifia la présence de son billet. Première classe, pour le paquebot Île de France en partance dès le lendemain vers New York, vers son condamné à mort, vers la conclusion de cette thèse de doctorat qui n'en finissait plus.« J'espère que vous ne jugerez pas trop hâtivement la population Britannique à cause de ce freluquet, entonna une voix amusée derrière son fauteuil. La jeune femme à la moue réprobatrice prit place en face d'Alceste, clefs de chambre en main.
- Dois-je en déduire que vous êtes également un sujet de la Couronne ? s'avança Alceste.
- Vous en doutez ? Mon accent devrait me trahir, répondit-elle en souriant. Vous avez l'air d'un solitaire, je ne vais pas vous déranger longtemps. Je voulais juste éviter la compagnie de lord Castle-Berry.
- Vous le connaissez. »
À la réception, l'homme releva son col d'un geste élégant et jeta un œil sur sa montre à gousset.
« J'ignore si connaître est le verbe approprié, répondit-elle d'un air agacé. J'ai eu le malheur de partager le même train en provenance de Paris. Dire qu'il sera aussi à bord de l'Île de France, quelle guigne ! »
Alceste ne put retenir un sourire devant l'emploi d'un mot si curieux dans la bouche d'une étrangère. Le valet réapparut et fit un signe de tête à son maître, qui s'éloigna de la réception à sa suite.
« Je ne vous dérange pas plus longtemps. Partez-vous également pour New York ? »
Elle pointa la sacoche à demi ouverte d'Alceste, billet en vue.
« Ne vous inquiétez pas, mademoiselle, je me garderai de tout jugement hâtif à l'encontre de vos concitoyens. »La jeune femme se releva en hâte et s'éloigna d'un pas léger et gracieux. Petite et menue, il lui semblait incongru qu'elle voyageât seule. Puis il chassa ce préjugé de son esprit. L'allure légère et décidée, en petite robe noire et chevelure courte, la demoiselle murmurait une élégance discrète, presque enfantine. Mais son regard assuré, ses gestes précis et son aisance trahissaient le visage d'ange de la jeune Anglaise : Alceste lui donnait au moins une trentaine d'années.
Le regard d'Alceste glissa vers son billet. Six jours sur un paquebot. Alors qu'il redoutait l'ennui, ces brèves rencontres le plongèrent dans l'incertitude. Alceste Allaire ignorait alors l'ampleur des événements qui l'attendaient à bord...
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Meurtre à l'Ancienne
غموض / إثارةJuin 1932. L'universitaire Alceste Allaire embarque sur le paquebot Île de France en partance pour New York interroger un condamné à mort pour ses recherches sur la psychologie des meurtriers. Mais entre un lord Britannique entouré de prétendantes e...