Elle est là, assise sur ce banc froid, en ce jour d'automne pluvieux. Les larmes du ciel se mêlent aux siennes. Pour la première fois depuis longtemps, les histoires ne remplissent plus sa tête, ses personnages lui résistent, la fuient, refusent de se montrer. Les mots, ces traîtres, sont partis. Il ne reste plus que le silence, qui l'entoure et l'enveloppe, la coupant de son univers et du reste du monde.
Elle est seule. Entièrement seule. Complètement perdue, ne comprenant pas comment elle a pu en arriver là, appelant sa créativité d'autrefois. Mais elle appelle en vain. Car le silence, nouveau roi intransigeant, ne laisse rien filtrer. Aucun cri, aucun pleur ne le transperce, rien ne passe au travers de cette barrière impénétrable.
Elle est prisonnière. Enfermée dans une cellule dont elle a elle-même posé les barreaux et verrouillée la porte. Elle qui refusait de communiquer en a désormais perdu la possibilité. Rien ne semble pouvoir la sauver, perdue dans le silence et recouverte de sa cape d'invisibilité.
Et pourtant, une voix s'offre à elle. Douce et musicale. Un murmure qui résonne bien plus fort que tous les grondements de tonnerre réunis, une question bien plus mélodieuse que la plus belle des symphonies.
- Est-ce que ça va ?
Elle relève les yeux, incapable de répondre, se perd dans le regard de l'inconnue qui lui fait face. Il est soucieux, ce regard bleu ciel, inquiet même, mais il pétille, illumine les environs d'une lumière invisible et d'une chaleur qui l'enveloppe, renvoyant le silence dans son monde obscur et glacial.
- Je... je ne sais pas, balbutie-t-elle lentement, étonnée d'entendre sa propre voix, vacillante et tremblante, mais bel et bien présente.
L'inconnue sourit, s'avance, s'assied à côté d'elle. Sans pour autant la quitter des yeux. Son regard s'est fait plus doux. Il a maintenant un aspect rassurant et amical, toujours plus chaleureux.
- Tu ne sais pas ou tu ne veux pas admettre ?
Elle la regarde longuement, encore plus perdue qu'avant. Le sourire de l'inconnue est toujours là, presque irréel, semblant en parfait désaccord avec ses propos.
- Parce que sincèrement, ça n'a pas l'air d'aller, continue-t-elle imperturbable. Mais c'est souvent dur de l'admettre, alors ta réaction est on ne peut plus normale.
Elle s'interrompt, ferme les yeux, coupant ainsi le contact l'espace d'un instant. Son sourire s'est effacé. Sa voix reprend, doucement, toujours aussi sûre d'elle, mais sur un ton plus terne, beaucoup moins mélodieux.
- Je suis bien placée pour le savoir, je suis comme toi, au fond. Je refuse d'admettre.
Ses paupières se rouvrent, laissant apparaître deux fenêtres sur son univers à elle, bien différent du sien. Un monde non pas rempli de magie et d'imagination mais un monde de chiffres et de calculs. Un monde encré dans la réalité et régit par la raison. Un monde étonnant, étrange, un monde gouverné par la logique. Un monde rationnel.
Son monde.
Mais son univers semble arrêté, tout comme le sien. Les colonnes de chiffres sont statiques, les équations ont bien trop d'inconnues pour être résolues. Les formes géométriques se brouillent, les carrés et les rectangles refusent les angles à 90°, les parallélogrammes arrondissent les leurs, les cercles s'en créent. Mais même ce chaos s'est paralysé. Tout est parfaitement immobile.
Sur ce monde aussi, le silence règne. Mais sur celui qui s'est créé entre elles habite la plus belle de toutes les mélodies, si belle que même à l'autre bout du cosmos elle ne trouverait pas son pareil. C'est un monde au goût nouveau qui vient de naître, un univers partagé où les différences n'ont plus d'importance, où l'harmonie s'impose en maître incontesté. Tout paraît bien trop beau.
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La corneille et la colombe, ainsi que d'autres histoires...
Short StoryCascade de lumière Cœurs liés Âmes croisées Ensemble de nouvelles sur les âmes croisées... Jumelé avec le recueil de @NoomaToryn Juste, le poème marchombre du début n'est pas de moi, mais de NoomaToryn