Leanne marchait, seule au milieu de la cour encore déserte. Les cours du lundi matin ne commençait qu'à huit heures. C'était la première fois que la jeune fille arrivait si tôt, c'est à dire une heure avant le début des classes.
Des larmes coulaient silencieusement sur ces joues au teint hâlée. Ses yeux bruns, d'ordinaires rieurs étaient tristes et découragés tandis que ses boucles blondes voletaient autour de son visage ravagé par le désespoir.
Leanne donna un coup de pied rageur au caillou qui se trouvait devant elle. Puis, elle se mit à courir, comme si elle fuyait quelque chose, ou quelqu'un. Sa course effrénée la mena au pied du seul arbre de la cour. Un saule majestueux qui devait avoir aux alentours des cinquante ans.
À nouveau, des larmes s'amoncelèrent au coin de ses yeux. Perles d'eau salée roulant sur les rivières qu'étaient devenues ses joues.
Elle avait passé tant de temps appuyé au tronc de cet arbre avec...
Non, ne pas y penser. Surtout, ne pas y penser.
Leanne se détourna et suivi des yeux le lent parcours d'une feuille morte, balancé de droite à gauche au grès du vent, plutôt doux pour la saison. Sans même qu'elle s'en aperçoive, ses lèvres se mirent à former un mot, dans un souffle désespéré. Un mot ? Non... un nom.
- Liliane...
- Eh la naine ! Pourquoi t'es pas avec ta copine ?!
Leanne se retourna immédiatement. Un groupe se trouvait devant elle. Le groupe le plus populaire du lycée.
Avant même qu'elle ne puisse répondre, une autre fille prit la parole.
- Arrête de l'embêter, Mike, tu vois bien qu'elle est incapable de te comprendre... sans son amie pour traduire !
Ses mots se transformèrent en flèches acérées qui vinrent se planter dans le cœur déjà brisé de Leanne, qui serra les poings.
- C'est vrai, j'avais oublié, reprit le dénommé Mike. Faut dire que Liliane était bien pratique pour ça, pas vrai la naine ?
Ce fut la phrase de trop. La goutte qui fit déborder le vase. Leanne se rua vers le groupe, poing levé et gifla violemment son interlocuteur. Elle aurait sûrement continué si un professeur, qui venait d'arriver, n'était pas intervenu.
Cinq minutes plus tard, Leanne se retrouva dans le bureau du directeur. Ce dernier était un homme d'âge mur, aux cheveux grisonnant. Il avait l'air extrêmement gêné et lorsqu'il commença à parler, ce fut d'une voix incertaine.
- Leanne, je sais que ce que vous vivez en ce moment est très dur, mais cela ne justifie pas un pareil comportement. Bien sûr, la...
Il parlait. Parlait encore et encore. Il parlait, mais il ne comprenait pas.
Personne ne pouvait comprendre.
Très vite, Leanne en eut assez. Assez d'écouter ces paroles vaines. Elle se leva en silence et sous les yeux éberlués du directeur sortit de la salle. Elle se mit alors à courir vite, si vite que rien ni personne n'aurait pu l'arrêter.
Elle s'arrêta enfin, arrivée sur le toit d'un immeuble de seize étages qui surplombait la ville et s'assit les jambes dans le vide. Elle se souvenait parfaitement du jour où elle avait rencontré Liliane. C'était à cet endroit même. La jeune fille l'avait empêche de commettre le pire.
Leanne ferma les yeux, s'immergea plus profondément dans sa mémoire.
Souvenirs...
§
- Tu ne comptes pas sauter tout de même ?
Leanne se retourna vivement. Face à elle se trouvait une jeune fille de grande aux longs cheveux noirs, lisses, entourant un visage parfaitement ovale au teint blanchâtre et yeux bleu ciel. Le parfait opposé de son teint hâlé, ses yeux marrons et les boucles blondes qui encadrait son visage rond, un peu enfantin. Son parfait opposé et pourtant...
L'inconnue s'assit à côté d'elle et lui sourit. Un sourire doux, tendre, un sourire tel qu'on ne lui avait jamais offert.
- Alors ?, reprit-elle. Tu ne vas pas sauter ou si ?
- Je..., balbutia Leanne.
- Comment tu t'appelles ?, l'interrompit la jeune fille sans même lui laisser le temps de répondre. Moi c'est Liliane.
Elle lui tendit la main. Leanne hésita, puis la prit en murmurant :
- Leanne.
- Quel joli nom !, s'exclama Liliane, enthousiasmée.
Leanne rougit, mais ne dit pas un mot.
- J'habite juste en dessous, continua Liliane. Tu veux venir ?
§
C'était ainsi que tout avait commencé... Leanne avait alors découvert la famille de Liliane, si différente de la sienne. Une amitié plus forte que tout était alors née entre les deux jeunes filles. Elles avaient passé plusieurs années ensemble, partageant tous les instants de bonheur que la vie leur offrait, sans penser au lendemain.
Mais c'était trop beau pour être vrai...
Car deux ans plus tard était arrivée la maladie. Fourbe, discrète, vicieuse, elle avait joué avec leur espoir, avait vidé Liliane de ses forces et de sa santé. Elle avait joué avec elle, s'amusant à lui faire reprendre de maigres forces pour mieux les lui arracher. Un an après, lorsqu'elle eut fini de s'amuser, elle l'avait tué.Liliane était morte. Morte.
Voilà ce que se répétait Leanne intérieurement depuis deux jours.
Elle était morte. Morte.
Deux jours qu'elle ne vivait plus... deux jours que Leanne avait cessé d'espérer.
Immobile, la jeune fille contemplait le vide qui s'étalait sous ses pieds. Il y avait désormais trois ans de cela, Liliane l'avait empêché de sauter. Mais maintenant... qui l'en empêcherait ?Leanne se releva doucement. Elle étendit lentement les bras et fit un pas dans le vide. Mais elle ne tomba pas. Au contraire. Elle s'envola.
Devenue oiseau, elle virevolta entre les courants du vent, plongea sous les fils des poteaux électriques, survola un bois de sapin d'où s'échappa une nuée de corbeau et corneille.
Une corneille vint à la rencontre de la colombe que Leanne était devenue. Une corneille aux yeux bleu ciel...
S'étant enfin retrouvé, les deux oiseaux montèrent en tourbillonnant dans le ciel, haut, si haut qu'ils dépassèrent bientôt l'atmosphère. Jouant au milieu des étoiles, contemplant la lune, riant avec le soleil la colombe et la corneille fêtaient leurs retrouvailles. Car rien ni personne ne peut les séparer. Pas même la mort.
Âmes sœurs
Unies pour l'éternité
Âmes croisées
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La corneille et la colombe, ainsi que d'autres histoires...
KurzgeschichtenCascade de lumière Cœurs liés Âmes croisées Ensemble de nouvelles sur les âmes croisées... Jumelé avec le recueil de @NoomaToryn Juste, le poème marchombre du début n'est pas de moi, mais de NoomaToryn