Manon marchait seule, au milieu de la ville peuplée de bruits et de personnes. Seule au milieu de la foule pressée, la jeune fille avait l'impression d'être transparente, invisible, comme vidée de toute substance. Personne ne semblait remarquer les ruisseaux de larmes qui coulaient sur ses joues, son pas lent et triste, ses pieds qui shootaient furieusement dans un caillou.
L'adolescente ferma les yeux, sans s'arrêter de marcher. Elle se laissait guider par les sons, abandonnant la vue pour se fier à son ouïe. Elle entendait tout. Ce petit garçon, qui suppliait sa mère de le porter, ce chien qui aboyait de l'autre côté de la rue, les moteurs qui vrombissaient lorsqu'elle les voitures accéléraient. Manon sentait le vent sur son visage, les corps qui heurtaient ses bras qu'elle avait écarté pour garder l'équilibre.
Elle soupira, se demandant pourquoi, si les gens ne la voyait, pourquoi ne l'entendaient-ils pas, au moins ?
La jeune fille rouvrit les yeux et se sentit perdue au milieu de ces nuances de gris qui l'entouraient. C'était comme si toutes les couleurs avaient subitement disparues et faisaient place au monde tel qu'il était, triste et emmuré.
Manon ferma à nouveau les yeux et se concentra non sur les bruits, mais sur sa journée. Elle se rappelait de chaque détails, de chaque mots qui l'avaient blessés, de toutes ses personnes qui l'avaient ignorée, une fois de plus. Sauf que ce jour-ci, tout avait été différent.
Pourquoi, songea-t-elle, pourquoi n'avait-elle pas réussi à parler, à s'exprimer. Pourquoi personne ne l'avait écouté ? Et pourquoi n'arrivait-elle pas à s'en consoler...
Car cette fois, c'était son amie, celle qu'elle connaissait depuis désormais plusieurs années, celle à qui elle se confiait, c'était cette amie qui l'avait ignorée. Bien sûr, cela faisait plusieurs semaines que Manon avait bien vu que quelque chose avait changé entre elles, mais elle ne s'était pas inquiétée, du moins pas tout de suite.
C'est vrai quoi, se répétait-elle intérieurement, elle a un copain, c'est normal qu'on passe moins de temps ensemble.
Mais le temps qu'elle passait ensemble n'était pas la seule chose... le vrai problème, elle se l'avouait maintenant, c'était qu'elle ne la comprenait plus. Cette amie avec qui elle avait vécu tant de choses, elle ne la comprenait plus. Les adolescentes semblaient désormais séparées d'un fossé infranchissable, entre celle qui vivait le grand amour et celle qui restait encore en arrière, ne voyant pas le pont qui lui permettrait de rejoindre son amie.
Manon rouvrit les yeux et donna un coup rageur dans un tas de neige. Elle ne comprenait rien à l'amour, c'était vrai. Mais pourquoi devait-elle subir l'éloignement de son amie, celle qu'elle considérait comme son âme sœur ? Et pourquoi, d'une manière générale, n'arrivait-elle plus à comprendre ses amis ? Qu'est-ce qui clochait avec elle ?
La jeune fille serra les poings. Elle avait envie de hurler, de tout casser, de crier son désespoir au monde entier. Elle se contenta de continuer à marcher.
Elle avait passé la journée seule, à tenter de se faire entendre, de prendre part aux discutions des gens de sa classe. Personne ne l'avait écouté. Elle parlait dans le vide, sans aucunes réponses. À la fin des cours, son « amie » était venue la voir pour lui demander de se voir pour mettre au point leur exposé.
Manon avait alors eu l'envie de lui hurler qu'elles auraient tout le temps de le faire si elle avait daigné lui adressé la parole. Elle se contenta de lui répéter qu'elle n'avait pas le temps aujourd'hui, qu'elle le lui avait déjà dit, qu'elles pourraient se voir le lendemain.
Et désormais, l'adolescente marchait seule, désemparée, ne sachant que faire. Elle aurait eu tant envie de parler à quelqu'un de son malaise, tant voulu qu'une personne, n'importe qui, lui dise qu'elle était normale, appréciée de ses camarades et de ses amis. Mais elle n'avait personne et errait sans but, dans l'espoir qu'on la voie, qu'on la console, en vain. De nos jours, les gens sont trop pressés, ils ne font plus attention aux autres passants.
Manon releva les yeux. Elle était arrivée au milieu d'un parc, juste devant le banc sur lequel elle s'asseyait toujours avec son amie et les deux jeunes filles discutaient alors de tout et de rien, heureuses du simple plaisir d'être ensemble.
L'adolescente s'y assit, seule. Elle contempla le ciel et demanda à voix haute :
- Je te croyais mon âme sœur, celle qui me comprenait sans l'aide des mots, qui pansait mes plaies avant même que je n'en t'aie parlé. Nous pouvions passer des heures à ne rien dire et pourtant sans jamais avoir été si proche. Alors pourquoi, pourquoi m'avoir abandonné alors que j'avais besoin de toi ?
Manon se remit à pleurer.
- Pourquoi, répétait-elle incessamment, pourquoi, Elsa ?
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La corneille et la colombe, ainsi que d'autres histoires...
Historia CortaCascade de lumière Cœurs liés Âmes croisées Ensemble de nouvelles sur les âmes croisées... Jumelé avec le recueil de @NoomaToryn Juste, le poème marchombre du début n'est pas de moi, mais de NoomaToryn