Le Joyau des glaces ~ Terminé

Chapitre VI : La galante blanche

  - C'est le moment de respecter ta part du marché.

    Ange dirigea son attention vers le fameux "Gnome des glaces", surprise. Cela faisait trois jours qu'ils marchaient dans un silence presque total, et elle devait avoir entamé un cinquième de ses vivres. Elle avait des ampoules sous les pieds et les jambes en compote à force de marcher, mais elle sentait que, quelque part, elle aurait dû être plus fatiguée que ça. Était-ce un des avantages du sortilège ?

    Le paysage n'avait pas changé depuis qu'ils avaient quitté la caverne. C'était toujours des étendues blanches, immaculées, sans aucune trace d'êtres vivants. La seule différence, c'était que de longues falaises escarpées s'élevaient devant eux, affichant de la roche d'un marron foncé presque noir. Quelques touffes vertes d'herbes poussaient sur certains plateaux, et on pouvait voir certaines racines longer les rochers.

  - J'ai besoin que tu récupères quelque chose, expliqua-t-il en cherchant quelque chose sur la pierre sombre. Ça doit se trouver quelque part sur les flancs, peut-être qu'on la verra si on... Voilà. Là.

    Il pointa le doigt vers un petit plateau rocheux, à au moins six mètres d'altitude. Il n'y avait rien d'intéressant à part une couche de neige... quoique, une tache blanche était secouée par la brise. Elle était petite et pouvait s'apparenter à une fleur ou à un gros insecte pris dans une toile d'araignée. Ou un oiseau faisant du surplace, mais ça, c'était déjà moins possible.

  - Si tu peux la cueillir et me l'amener intacte, je te guiderai jusqu'au "Joyau des glaces". Sinon... tu devras te débrouiller seule pour la trouver avant la fin de ton sortilège. Ou pour revenir au village.

    Dans sa voix, il y avait une inflexion étrange, presque moqueuse, qui la poussait à se méfier. La jeune fille évalua d'un regard les risques de cette expédition. Elle pouvait se briser la nuque ou les os si un rocher s'effondrait, ou alors être assommée par une pierre. C'était dangereux et incroyablement suicidaire.

    Mais bon, elle n'avait pas le choix si elle espérait rester humaine.

    Elle déposa son sac sur la neige et s'avança vers la falaise. Elle était encore plus impressionnante de près, avec de nombreuses aspérités dangereuses. Chaque prise était un pas de plus vers la mort si elle lâchait, alors la prudence était de mise.

    Ange agrippa la première pierre, testa sa solidité et y prit appui. Elle fit de même pendant le reste de son escalade. Étrangement, même si elle ressentait une peur viscérale à l'idée de tomber, elle ne se sentait pas si mal. Au contraire, elle avait l'impression d'être à l'aise avec ses pieds si loin du sol. Néanmoins, elle ne relâcha pas sa vigilance. Elle savait qu'à la moindre seconde d'inattention, le vide l'attendrait.

    Enfin, elle arriva à destination. Une petite fleur à la corolle diaphane et aux pétales nacrés lui faisait face. Elle avait une longue tige élancée, d'un marron sombre qui se fondait avec le paysage. Mais les deux choses les plus impressionnantes chez elle restaient son parfum de miel et ses feuilles complètement transparentes, presque gelées. Elle était une élégante lady loin de la civilisation, sans personne à charmer ou à attirer.

    Pendant un instant, la jeune blonde sentit monter un sentiment de compassion, mêlé de tristesse et d'énervement. Comment pourrait-elle arracher une si belle dame à la vie, pour une quête égoïste ? C'était insensé. Il se moquait d'elle, voilà tout. Il voulait juste trouver une excuse pour ne pas l'amener où elle voulait.

    Et elle n'allait pas se laisser faire.

    Avec une énergie et une détermination toutes nouvelles, elle refit le chemin inverse, laissant la pauvre plante tranquille. Lorsqu'elle arriva au niveau de Keth, elle distingua un sourire énigmatique pendu à ses lèvres. Un sourire qui semblait dire : "Je te l'avais dit".

  - Je vois que tu es revenue sans la galante blanche, fit-il remarquer pendant que son regard se posait sur la falaise. Très bien, tu as gagné. Je t'emmène jusqu'au "Joyau des glaces".

  - Mais..., protesta-t-elle, ébahie. Je n'ai pas ramené la fleur !!

  - Tu n'aurais jamais pu la ramener. Si tu l'avais cueilli, ton corps aurait été coupé en deux.