Le Joyau des glaces ~ Terminé

Chapitre V : Le départ

    Ange ne pouvait plus s'arrêter de maugréer. Elle avait bien croisé des personnes infâmes et d'autres qui attachaient plus d'importance à eux qu'aux autres, mais... c'était la goutte d'eau qui faisait déborder le vase. Car, elle avait non seulement acheté des vivres pour plus d'une semaine et de l'équipement un peu au hasard mais adapté à sa quête, mais elle avait dû en plus dormir dans l'abri ouvert au vent et au froid. Tout ça parce que cet idiot de Keth l'avait prévenu qu'il partait quand il voulait, avec ou sans elle s'il le fallait.

    Depuis cette nuit épouvantable, où elle avait commencé à regretter abandonner son petit cours d'eau tiède, son humeur n'avait cessé de décroître, jusqu'à attendre le stade où elle aurait bien tordu un cou ou deux. En plus, elle avait faim et personne ne l'avait aidé à trouver une outre pour qu'elle emporte son eau avec elle. Elle se sentait à la fois vulnérable et manipulée, et elle détestait ça.

    Enfin, le "Gnome des glaces" s'extirpa de sa cabane. Et la jeune fille fut obligée de retenir son souffle. Il était beaucoup plus beau qu'elle ne l'imaginait. L'horrible couche de charbon avait caché les traits durs, comme coupés à la serpe, de son visage. Sa peau était légèrement hâlée, mettant d'autant plus en relief ses yeux pers incroyables.

    Lorsqu'il la remarqua, il la regarda de haut en bas, comme s'il tentait d'évaluer quelque chose. Son visage impénétrable ne laissait rien filtrer et, dès que sa voix envoûtante résonna à nouveau depuis hier, Ange ne put se retenir de frissonner.

  - J'espère que tu es prête, laissa-t-tomber sans afficher une seule expression. On doit partir maintenant. Il y a une tempête qui se prépare, pire que celle d'hier. Si on veut arriver à un abri avant qu'elle ne nous tombe dessus, il faut qu'on parte maintenant.

    Elle ne fit pas de commentaires. Après tout, elle s'était retrouvée dehors quand les bourrasques portant des flocons s'étaient levées. Pile en pleine nuit. Elle avait grelotté pendant au moins une bonne heure, avant qu'elles ne disparaissent petit à petit. Si d'autres plus fortes allaient survenir aujourd'hui... elle ne se sentait pas capable de les affronter. Pas une nouvelle fois.

    Alors qu'ils commençaient à mettre le cap vers leur destination, la jeune fille inspecta le ciel. Étrangement, pas un seul nuage en vue. Et seule une petite brise se faisait sentir. Comment pouvait-il assurer qu'une tempête se prépare ? Avait-il vu un signe avant-coureur qu'elle n'était pas capable de déchiffrer ? Ou essayait-il juste de la manipuler ?

    Pendant de longues heures, ils s'aventurèrent de plus en plus loin du village, longeant le flanc de la montagne vers la vallée de l'autre côté. Ange avait du mal à suivre le jeune homme, à la fois agile et aux foulées longues. On dirait un cabri noir, vu comment il escaladait les rochers. Il ne se retourna pas une seule fois, respectant à la lettre ce qu'il avait déclaré. Quand elle glissait ou poussait un petit cri, il ne semblait même pas réagir.

    Enfin, ils arrivèrent à une large ouverture rocheuse, dissimulée par de larges conifères, juste à temps pour voir les premiers flocons tomber. L'intérieur était sobrement meublé : une caisse en bois, une vieille lampe à huile ainsi qu'un petit trou où l'on plaçait le feu. On sentait de l'air chaud venir du fond, remontant en volutes tièdes jusqu'à leur visage. Sinon, c'était plutôt vide et inhospitalier.

    Heureuse d'être enfin arrivée, la jeune fille s'effondra sur le sol. Elle n'en pouvait plus. Ses pieds lui semblaient en feu à force d'avoir marché autant. Quand elle était sirène, elle n'avait pas à traverser d'aussi grandes distances ; mais là, c'était différent. Le monde était beaucoup plus grand qu'elle ne le pensait. Et c'était une idée amère à avaler.

  - On va passer la nuit ici, expliqua Keth en posant ses affaires plus en avant dans la grotte. Éloigne-toi de l'entrée, le vent souffle plus fort et risque de te réveiller.

    La jeune fille aurait obéi à n'importe quel ordre, du moment qu'elle pouvait se reposer après.