Chapitre IX : Le "Joyau des glaces"

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    Depuis leurs aveux, le temps était passé beaucoup plus vite pendant la dernière partie de leur voyage. C'était comme si, tout d'un coup, ils avaient enfin brisé la glace dressée entre eux depuis le début. Ils parlaient beaucoup. De là d'où ils venaient. Des personnes qu'ils avaient rencontrées. Des épreuves qu'ils avaient surmontées pour arriver jusque-là. Parfois, de souvenirs qu'ils partageaient avec parcimonie, comme s'ils avaient peur de la réaction de l'autre.

    Keth avait aussi changé de comportement. Il semblait plus attentionné, plus amical, plus ouvert. Ange avait découvert que, quand il souriait vraiment de bonheur, ses lèvres s'élevaient de façon asymétrique. Il était aussi quelqu'un d'agréable, et... son regard pers... il la faisait fondre sans qu'elle puisse comprendre la raison. Elle sentait son cœur battre plus rapidement au fur et à mesure qu'elle en savait plus sur lui.

    Elle n'avait jamais éprouvé cette sensation. Ce n'était pas désagréable, mais... quelque part, ça la dérangeait. C'était quelque chose d'inconnu, qui ne lui appartenait pas et qu'elle n'arrivait pas à s'approprier. Elle avait bien des mots qui lui venaient en tête, mais celui qui lui semblait le plus probable ne la réjouissait pas du monde.

    C'était l'amour, elle en était presque sûre.

    Tout à coup, ils arrivèrent à l'entrée d'une gorge profonde... particulière. Il y avait quelque chose de spécial à son propos. Les parois de roche grise étaient peut-être un peu trop bien polies. Et elle n'était sûrement pas aussi sombre qu'elle devait l'être. Il y avait aussi cet air chaud, bien plus chaud que toutes les autres grottes dans lesquelles ils s'étaient abrités, Keth et elle. Était-ce...

  - Il nous suffit juste de marcher encore un peu, expliqua le brun en indiquant l'entrée. Ensuite, tu pourras enfin goûter au pétale et rester humaine. Heureuse ?

  - Plutôt comblée ! rectifia-t-elle en piétinant d'impatience. Allons-y tout de suite !!

    Et elle s'enfonça sans problème dans le tunnel, laissant au "Gnome des glaces" le soin de la suivre. Petit à petit, elle sentait l'atmosphère changer. À chaque pas, elle devenait plus légère, plus pure et plus respirable que tout autre endroit sur terre. Des notes paradisiaques de brise tendre, de ruisseau mélodieux et de bruissement d'herbe se firent entendre. Mais qu'y avait-il donc, au fond de ce long boyau de plus en plus lumineux ?

    Elle ne tarda pas à le savoir.

    Tout à coup, ils débouchèrent sur une grande caverne, ouverte en haut. Quoique... la jeune fille ne pouvait retenir un cri d'exclamation. Il s'agissait en fait d'une immense coupole de glace, avec de nombreux motifs finement ciselés qui jetaient sur le sol des ombres tout en arabesques. En-dessous poussait de l'herbe, des arbres, des fleurs de toutes les couleurs et de toutes les formes. Des cours d'eau quadrillaient le tout, serpentant tranquillement dans cet étrange oasis.

    Ange fit quelques pas. Malgré les parois gelées qui entouraient ce cocon, l'air était tiède et doux, semblable à la caresse d'un amant. C'était impossible. Comment l'hiver ne pouvait-il pas agir ici, si loin dans le nord ? Elle fouilla méticuleusement du regard l'endroit, cherchant la source de ces changements anormaux...

    ... et elle la vit.

    C'était une fleur solitaire, avec des pétales fins et discrets, comme découpés dans de la dentelle. Ses pistils gracieux, translucides, étaient comme des doigts tendus à chaque seconde vers le ciel. Sa tige était recouverte de larges feuilles en forme de demi-cœur, qui semblaient comme cacher sa nudité. Elle était délicate, une enfant à l'abri dans ce havre de paix et gardant ainsi son innocence.

    La jeune fille s'approcha doucement, veillant à ne pas sortir du sentier tracé. Elle était captivée par cette plante au parfum aérien, presque fantomatique.

  - Le "Joyau des glaces", se contenta d'annoncer Keth en la suivant de près. Si tu veux rester humaine, il va falloir que tu manges le pétale le plus petit, celui posé sur la fleur rouge.

    Ange acquiesça, toute à sa tâche d'atteindre la fleur. Cette dernière semblait l'attendre, et ne rechigna nullement lorsqu'une partie de sa corolle lui fut arraché. Le petit morceau de dentelle semblait fondre sur la langue de la blonde, pareille à une perle de lait sucrée.

    Le "Gnome des glaces" la regarda faire en silence. Puis, avec un maigre sourire et des yeux assombrie par la tristesse, il laissa tomber :

  - Tu peux retourner chez toi, maintenant.

Le Joyau des glaces ~ TerminéOù les histoires vivent. Découvrez maintenant