Une fois à la maison, nous avons installé l'inconnu dans la chambre de mon frère aîné. Comme il est à l'université, ça ne le gênera pas.
Pierre en sort au moment où je monte un plateau avec des boissons chaudes et de l'eau. Il m'arrête dans le couloir. Son visage est marqué. Je le connais bien, lui et sa femme Stone sont nos voisins préférés.
- Je l'ai aidé à se changer. Il porte le pyjama de ton frère et il somnole.
- Tant mieux.
- Elsa... Est-ce que tu le connais ? Me demande mon voisin en grattant sa barbe grise.
- Non, c'était un accident... Quoique je ne sois pas sûre moi-même de ma responsabilité, je ne pouvais pas le laisser dans la neige.Pierre hoche la tête d'un air grave.
- Qu'est-ce qu'il y a ?
- Il.... Il a des marques sur le corps.
- La chute a été si violente ?
- Je ne crois pas que ce soit la chute. On dirait... qu'il s'est battu ou...Pierre hésite à parler.
- Ou qu'il a été battu, dit-il plus faiblement.
Dans ma tête, ça devient vide. BATTU ? Je veux dire... Oui, ça existe mais... à la télé ou dans les livres. Mais... enfin... oui, en réalité aussi. Je ne le nie pas. Pourtant, je n'avais jamais été confrontée à la possibilité que quelqu'un que je connaisse en soit victime. Je déglutis.
- On fait quoi dans ce cas ?
- Rien. Pour le moment. On va attendre qu'il se réveille et puis j'en reparlerai avec lui. En attendant, prends soin de lui et évite le sujet. Si ça se trouve, il est en fugue.Une fugue ? En plein blizzard ?
Mon plateau tremble un peu quand je rentre dans la chambre. Je le dépose sur le bureau de mon frère.
Le garçon dort. Je vois d'ici ses cheveux blonds presque blancs et sa peau si pâle. On dirait qu'il est exténué. Est-ce qu'il vient de loin ? Je ne l'ai jamais vu au lycée de la ville. Est-ce qu'il avait peur ? Depuis combien de jours, est-il parti de chez lui (si tant est qu'il soit un fugueur ?)
Je me rapproche. Son souffle est très faible. Son torse se soulève sous le drap.
- Je m'appelle Elsa. Ici, tu es en sécurité.
Je murmure. Je ne veux pas le réveiller, mais j'aimerais dire quelque chose de rassurant.
Je me lève et m'apprête à sortir quand quelque chose me retient.
Deux doigts agrippent mon pyjama bleu ciel.
- Merci, princesse des neiges. Je partirai bientôt.
Deux yeux bleus glaçons me dévisagent.
- Pas question ! Tu vas rester ici jusqu'à aller mieux.
Je pose les mains sur mes hanches et me penche vers lui.
- Ordre de la Princesse ! Maintenant: Repos !
Il sourit faiblement et ses paupières se ferment.
J'entends un merci, comme un souffle et sans que je sache pourquoi je ne peux pas sortir d'ici. Je m'assois sur l'épais tapis. Adossée au lit.
J'ai envie de rester ici. De veiller sur lui. Mais ce n'est pas de la pitié. Rien de la sorte. Je ne sais pas bien l'expliquer.
Ici c'est la chambre de mon frère. Mais à présent que je regarde le décors tout me semble différent. C'est moins grand que dans mes souvenirs d'enfant. Les posters de groupes de rock qui s'étalent sur les murs et l'attrape rêve qui pend près de la fenêtre. Les livres en piles et quelques trophées de foot. C'est une chambre d'adolescent. Plus jeune, je n'osais pas y pénétrer. C'était l'antre de mon frère aîné. Chasse gardée, terrain miné ! Défense d'entrer. Surtout pour les deux petites que nous étions, Anna et moi.
Et puis Luc à eu dix-huit ans et il est parti. Nous laissant, nous, les petites soeurs, dans son sillage. J'ai tellement pleuré quand il est parti, sourire aux lèvres, casquette visée sur le crâne. Son pull universitaire sur le dos. J'ai pleuré mais je n'ai rien dit. Luc était heureux et maman avait les larmes aux yeux. Papa était fier. Si fier. Un fils dans l'équipe nationale. Une bourse pour une des plus grandes universités de la Côte Est. Tout le monde était heureux. Moi pas. J'étais la méchante. Je lui ai même dit "je te déteste !" , je te déteste et j'ai pleuré. Ne me laisse pas. C'était ce que je voulais exprimer. Mais c'était trop dur.
Il me manque. Quand il appelle, maman lui parle des heures et papa commente avec lui ses résultats sportifs. Anna raconte des blagues et moi je dis juste salut. Rapidement. Et de loin. Je fais comme si ça ne me concernait pas. En réalité, je n'ose pas. Par téléphone, je n'ai plus rien à dire. Je ne fais rien de spécial et je ne sais pas quoi lui reconter à cet inconnu qui fait sa vie loin de moi.
Peut-être que je me sens abandonnée. C'est stupide : il n'est pas parti si loin et ça n'a rien à voir avec moi. C'est un grand frère qui est devenu adulte et moi qui reste coincée dans son ancien monde. Mais... Est-ce que je lui manque ? Parce-que sa manière de faire des cabanes en été et de me porter à bout de bras. Ses sourires immenses à s'en décrocher la machoire et sa bonne humeur quotidienne sont des petites choses du quotidien dont je dois me passer tous les jours.Je soupire.
Pourquoi je pense à ça ?- Tu es triste ?
La voix de l'inconnu dans mon dos trouble ma mélancolie. Il fait sombre dans la chambre. Je sens son souffle dans mon cou. Il est allongé et son visage sur l'oreiller est tourné vers moi. Je pivote, arrêtant de me servir du lit comme dossier. Nos regards se croisent.
- Tu fais ca souvent ?
- Quoi ? Je demande
- Ramener des inconnus chez toi ?
- Seulement les sexy !Je ris pour cacher ma gêne.
- Tu es ce genre de fille, Princesse ?
- Quel genre ?
- Le genre à rester seule dans le noir avec un inconnu ramassé dans la rue.
- Uniquement ceux qui s'évanouissent à mes pieds.
- Mademoiselle a de sacrées exigences.
- C'est ce que les princesses doivent avoir, non ? Des exigences.
- Et quelles sont les tiennes ? Toi aussi tu cherches un prince ?
- Non. Je ne cherche pas. Qu'est-ce que j'en ferai ?
- Je ne sais pas. Que demande les princesses aux princes ?Il fixe mes lèvres et sourit.
- J'imagine que certaines veulent être sauvée.
- De quoi ? s'étonne -t-il.
- De leur tour d'ivoire. De leur solitude immense.
- Est-ce qu'un prince peut faire cela ?
- Si la princesse l'y autorise, pourquoi pas ?Il se redresse sur un coude et son visage, un peu au-dessus du mien, me force à lever les yeux. Ses cheveux blonds balayent son front et tombent sur ses longs cils.
- Je ne suis pas un prince, dit-il.
- Je ne suis pas une vraie princesse, je réponds.
- Alors qui es-tu ?
- Je m'appelle Elsa et toi ?Il semble hésiter et regarde autour de lui. Il évalue l'endroit comme s'il pensait à s'enfuir.
- Jack.
- Jack, comment ?
- Jack... C'est tout.
- Très bien, Jacksetou !Il grimace.
- C'est ton humour ?
- Oui, je suis une princesse avec un humour nul. Navré pour toi.
- Navré pour moi ! Répond-il avec un sourire qui semble faire basculer l'ambiance.Je me lève.
- Est-ce que tu as faim ?
Il hoche la tête.
- Très faim.
- Descendons à la cuisine. Je ferai des pâtes. Ça te va ?
- Je ne suis pas difficile ...Il me suit et en se rapprochant de moi ajoute:
- Enfin, pour la nourriture !Je retiens ma respiration quand ses yeux se plissent et je descends rapidement les escaliers.
![](https://img.wattpad.com/cover/86175855-288-k299243.jpg)
VOUS LISEZ
Princesse de Glace
FanfictionLorsque la reine des Neiges est une "no life", fan de Disney, et que sa soeur décide de la traîner dans une fête avec un parfait inconnu... C'est le début d'un petit conte d'hiver ! PARODIE ET ROMANCE (inspiration décalée de Elsa de la Reine des nei...