Texte 6

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« Je comprends votre inquiétude, Théophraste, mais ce n'est pas comme si je pouvais y faire grand chose. »

Le député tapotait son fauteuil du bout des doigts. Du bout des lèvres, il fumait une fine cigarette dont les cendres pendaient encore courageusement, comme un défi à la gravité. Son visage était cireux, fatigué et terne. Des cheveux noirs de jais en désordre couronnaient un homme qui semblait trop petit pour son costume comme pour son bureau.

Mais dans ses yeux brillaient encore une lueur, une flamme, aussi faible pouvait-elle être.

Face à lui, Théophraste se tenait debout, le regard fixe. Sa veste grise de militaire tombait gracieusement sur ses épaules, et ses cheveux blancs donnaient à son apparence quelque chose de fantomatique.

« Je m'excuse, Monsieur le Député...

- Vous pouvez m'appeler par mon nom vous savez, coupa l'homme en souriant timidement.

- Monsieur... Barnat... Je m'excuse si mes inquiétudes m'ont fait perdre votre temps. »

Dans un grincement de chaise, Barnat se leva et sortit de la poche de sa chemise une boîte en fer. Dans un mouvement vif, il fit pivoter une nouvelle cigarette entre ses doigts et la tendit au militaire, qui refusa poliment.

« Je me dois d'insister mon cher Théophraste. »

L'homme aux cheveux blancs soupira et prit finalement la cigarette entre ses mains.

« Ne vous inquiétez pas Théophraste. Je comprends la raison de votre inquiétude. Vraiment. Mais malheureusement, nous parlons du Ministre de l'Intérieur, et son statut le rend presque intouchable. Imaginons, même un instant, que vos informations soient correctes... Qu'attendez-vous de moi ? »

Théophraste demeura silencieux. Sur le mur, il pouvait voir l'éclat des quelques médailles qu'il arborait sur son torse, et il sentit son cœur se serrer. Quelque chose en lui remontait à la surface : des regrets ? Des remords ? Ou quelque chose de bien plus sombre ?

Une promesse et une trahison, peut-être.

« Je comprends. J'espérais que, de vous tous, vous seriez qui pourrait comprendre. J'ai eu tort.

- Ce n'est pas grave, Théophraste. Vous êtes jeune, vous connaissez bien mieux la guerre que la politique. Et puis, vous êtes un Déchu, ce n'est pas comme si les affaires des Elus vous concernez. »

L'homme révéla ses crocs et fit un signe de la main pour mettre un terme à la discussion. Théophraste prit congés d'un salut rapide et se dirigea rapidement vers la poste.

« Ah, une dernière chose...

- Oui, Monsieur le... Monsieur Barnat.

- Mes condoléances. Perdre un camarade est déjà difficile, mais perdre toute son escouade... Vous avez toute ma sympathie.

- ... Merci, Monsieur le Ministre. »

[Apocryphe] (Improctobre 2016)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant