Immobile, elle voyait le monde à travers la lunette de son fusil.
A ce moment précis, elle n'était plus humaine. Elle n'était que le prolongement de son arme, un mélange parfait de conscience et de métal.
C'était du moins la sensation qu'elle avait toujours ressenti lors de cet instant.
Lorsqu'elle tirait, elle laissait derrière elle son corps pour ne devenir qu'un trait de métal, perçant les airs jusqu'à atteindre sa cible et disparaître dans une effusion de chair et de sang. Cette seconde unique où elle finit enfin par faire corps avec le reste du monde.
Puis elle habitait de nouveau sa pénible enveloppe humaine, lourde et maladroite, détachée des autres.
On la trouvait froide, distante, incapable de la moindre empathie. Certains lui disaient en face, beaucoup ne se le permettaient que lorsqu'elle était absente... mais elle savait d'un simple regard ce que les autres pensaient d'elle.
Elle se rappelait les mêmes regards dans son enfance. Cette même distance, derrière ces vitres, dans des salles blanches.
Un monstre. Voilà ce qu'elle était.
C'était une gosse, une sale teigne pas plus âgée qu'elle, qui avait dit ça d'un ton condescendant et mielleux. Elle était entourée de silhouettes inconnues en blouse blanche ou en costume trois-pièces, et tous lui parlaient avec déférence.
Plusieurs fois, ces deux filles se croisèrent, s'observant toujours de loin, incapables de percer ce mur transparent qui les séparait.
L'une avait la peau mate, le visage émacié par les opérations qu'elle subissait de façon répétée, les cheveux et les yeux dissimulés sous une large casquette-béret. Ses grands yeux noirs ne semblaient trouver du réconfort que dans les armes qu'on lui avait un jour offert pour s'entraîner deux à trois fois par semaine dans un champ de tir.
L'autre était blonde, à la peau pâle et au regard hautain. Elle arborait le plus souvent pantalon, gilet et cravate mais laissait ses cheveux fins et lisses tomber jusqu'à ses épaules. Toujours souriante, ses yeux bleu ciel dégageaient une aura froide ayant déstabilisé plus d'une personne.
A ce jour, la voix de cette « inconnue » résonnait encore dans la tête d'Amandine Dumas, sous-lieutenant de la Glorieuse Armée Française.
Alors que le monde continuait à suivre son cours, la militaire s'était arrêtée devant un panneau d'affichage, où, parmi diverses affiches sur des évènements locaux divers (concerts, expositions, spectacles... tous interdits aux Déchus), la une du Journal Officiel de France affichai ce visage si péniblement souriant.
« Artémis de Bilenlieu : Elue Par ses Pairs ! »
L'expression consacrée pour désigner le chef d'Etat. Elue par les Elus, ceux qui avaient reçu la bénédiction des divinités de l'Autre Monde. Désormais, cette fille qui ne voyait le monde que du haut de sa tour d'ivoire avait la main-mise sur un pays tout entier, qui se plierait à sa volonté, car tel était le pouvoir que les Elus avaient sur ce pays.
Mais Artémis était un prodige, pas un monstre.
Pourtant, à cet instant, Amandine ne vit aucune différence.
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[Apocryphe] (Improctobre 2016)
FantasySérie de nouvelles, chacune écrite en un jour tout au long du mois d'octobre et se déroulant toutes dans l'univers d'[Apothéose]. Sera sûrement retravaillé par la suite. Titre non-définitif aussi.