Chapitre 1

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La pression de mes mains se fit de plus en plus forte sur l'extrémité du matelas, elles étaient dorénavant crispées et mes membres étaient tendus. Je fronçai les sourcils et fermai les yeux, priant pour que cela cesse. Plusieurs gouttes de sueur perlaient mon front et roulaient sur mes joues. Ma bouche était tordue de douleur. Mes cheveux étaient salis de transpiration. J'avais chaud, très chaud. J'étais sûrement horrible à voir. Quelqu'un qui me verrait dans cet état, penserait qu'on me torturait et se demanderait pourquoi dans ce lieu alors que c'était ma maison.

Une bande m'arracha un gémissement et pour les suivantes, je dus réprimer un cri. En sentant que ce supplice allait bientôt se finir, je commençai à me relâcher et à m'apaiser. Puis, ma tante termina son travail et s'exclama :

« Et voilà, c'est terminé ! Tu n'as pas eu trop mal ? Regarde comme tes jambes sont belles maintenant ! Toutes douces, toutes lisses ! »

Je répondis par un faible « Oui », encore amochée par cette immense douleur. Ma tante prit les bandes remplies de mes poils noirs et les jeta à la poubelle. « Bon débarras, pensai-je, vous me laisserez tranquille pendant quelques semaines... ». C'était cela le problème ; supporter était long et se reposer était court. Dans à peine deux ou trois semaines ils reviendraient à une vitesse prodigieuse. Renouveler ce mauvais instant était pénible et me démoralisait. Pourquoi donc en avais-je autant alors que dans les pubs, les films, les livres et dans la vraie vie, toutes les filles étaient imberbes ? Pourquoi Mère Nature avait-elle si mal fait son travail dans ma conception, autant sur le visage que sur le corps ? La vie était tellement dure et injuste pour moi. Elle me contraignait à haïr mes origines indiennes. D'ailleurs, pourquoi étais-je la seule indienne à être aussi poilue ? C'était tout à fait répugnant. Un seul coup d'œil dans le miroir me faisait parvenir un haut-le-cœur. J'étais absolument ignoble, hideuse, dégoûtante et méprisable. Je me levai enfin du matelas et remis mon pantalon de pyjama. Je me rendis vers ma chambre et fermai la porte pour montrer aux autres qu'il ne fallait plus me déranger. J'allumai mon PC et décidai de regarder un film d'histoire d'amour. C'était cliché, certes, mais je ne pouvais m'empêcher de rêver de cela, de trouver un petit-ami et de vivre le grand amour. Je voulais savoir ce que cela faisait d'être aimé par quelqu'un qui pourrait presque tout faire pour nous si cela devenait fort et sincère. J'en mourrais d'envie depuis le collège où les premières relations avaient fleuri. Je les jalousais, toutes ces filles qui attiraient les regards sur leur beauté époustouflante alors que moi j'étais la pire chose qui soit. Elles avaient un sourire lumineux avec des dents parfaitement alignées, j'avais un sourire de psychopathe avec des espaces entre chaque dent, elles avaient des cheveux brillants, j'avais des cheveux abîmés et volumineux, elles avaient une taille fine avec des courbes voluptueuses, j'avais juste de nombreux kilos en trop. Ma petite sœur se moquait parfois de moi en me raillant que j'attendais des jumeaux et que mes fesses battaient à plate couture celles de Nicki Minaj. Mon corps n'était qu'un gros tas de graisse.

Le film se termina par le baiser des deux protagonistes. Je contemplai l'écran durant une dizaine de minutes. Je vis soudain mon reflet ; mon nez romain, mes cernes brunes, mes boutons, mes yeux qui semblaient traduire « Achevez-moi s'il-vous-plaît », mes sourcils asymétriques, mes lèvres gercées et ma peau moche. Je détournai mes yeux de cette horreur et m'allongeai sur mon lit, les bras croisés sous ma tête. Je soupirai, le lendemain allait être la reprise des cours après les vacances de La Toussaint, amplement méritées...J'observai maintenant les photos prises à la soirée Halloween d'Aminata sur mon téléphone. Nous étions toutes présentes, imitant les expressions de notre prof d'économie surnommé gentiment « La tortue ». Aminata portait un kigurumi panda avec des lentilles grises et un sourire à la Joker, Laurine était déguisée en sorcière, Hasna en yandere, Valentina en diablesse, Helena en serial killeuse, Jade en Mardi Adams et moi en...moi ? J'étais déjà à moi seule un personnage d'Halloween. Je souris en nous voyant, cette soirée avait été mémorable, ce qui n'était pas très étonnant de la part d'Aminata, elle savait comment s'y prendre. Il y avait eu tous les gens de la classe, permettant aux nouveaux de mieux connaître les autres. Je devais l'avouer, cette année promettait d'être divertissante car ils étaient mignons. Ils étaient chasse gardée par plusieurs filles de la classe et le combat s'annonçait rude. Je n'avais aucune chance avec mon physique ingrat. Je ferais comme d'habitude, j'admirerais le spectacle. Cela ne m'embêtait pas. Une voix m'éjecta de mes pensées. C'était ma mère qui m'appelait pour le dîner. Je descendis.


Aujourd'hui était ce que l'on pouvait appeler « le grand jour » : la reprise des cours. J'aurais préféré rester blottie dans la chaleur réconfortante de mon lit. Il faisait froid, le vent fouettait mon visage et mes yeux s'embuèrent de larmes. Plusieurs lycéens se trouvaient dans la cour, essayant en vain de se réchauffer. Ils avaient tous des têtes différentes, des styles et des groupes d'amis bien à eux. C'était un vrai zoo et j'avais le sentiment que j'en étais l'attraction principale. Quelques regards à la volée puis on vaquait à ses occupations. Je déposai mon sac lourd sur le sol en attendant que mes amies arrivent. Elles arrivèrent toutes une par une. Après les embrassades terminées et les «T'as fait quoi pendant les vacances ? », la sonnerie retentit, nous indiquant qu'il était l'heure d'assister au cours de physique-chimie. La journée allait être épuisante...

Je fis tout mon possible pour rester attentive au cours mais c'était au-dessus de mes forces. Il était ennuyeux et je ne comprenais presque rien, les explications du prof étant beaucoup trop vagues. Je vis que je n'étais pas la seule, il y avait même deux mecs qui somnolaient et un qui jouait avec sa calculatrice. Je m'emparai d'un crayon à papier et dessinai sur les pages de mon agenda. Quelques filles s'agitaient et semblaient manigancer, certainement un plan pour les nouveaux. Je vérifiai de temps en temps si l'aiguille de l'horloge bougeait mais je crus bien qu'elle était cassée. Comment se faisait-il que les cours se déroulaient lentement ? Le prof continuait de déblatérer son cours et écrivait au tableau des formules et des schémas. Il nous annonça qu'il y aurait un contrôle la prochaine fois qu'on se verrait et que le sujet porterait sur cela. Cette annonce fut suivie de protestations inutiles. Et c'est ainsi que notre premier cours s'acheva.


Durant la pause, je me baladai dans les couloirs de l'étage. J'eus soudain une envie pressante et me dirigeai vers les toilettes. Après avoir refermé la porte, je m'assis sur la cuvette. J'entendis alors mon prénom :

« ...Drisana... »

Intriguée, je tendis l'oreille.

« Vous la trouvez comment, sincèrement ? » Demanda une voix féminine, que je ne parvins pas à reconnaître.

Des rires fusèrent.

« Drisana ? Elle est absolument dégueulasse ! Un vrai thon, j'ai jamais vu ça ! »

Mon cœur rata un battement. J'eus le souffle coupé et je me mis à frémir. Je me sentis mal, trop mal. Je ne pouvais pas m'en aller maintenant, ils étaient près ou dans les toilettes.

« Mais grave ! En plus, elle a l'air ennuyeuse, elle ouvre jamais sa bouche. Personne ne voudra d'elle.

-Même le mec le plus moche aurait assez de dignité pour ne pas sortir avec elle. Il vaudrait mieux que ça. Sinon, il serait suicidaire !

-Eh mais c'est méchant ! Mais j'avoue, c'est vrai, ricana-t-elle.

-D'où je suis méchant ? C'est la vérité et c'est toi qui a débuté la conversation sur elle !

Et ils continuèrent à rire comme des hyènes. Ils étaient trois : deux garçons et une fille. Ils n'avaient pas remarqué ma présence. Lorsqu'ils finirent leurs moqueries, ils partirent et tout redevint silencieux. Je ne pouvais plus bouger, trop sonnée par ce qui venait de se dérouler. Mes yeux se perdirent dans le vide, me ressassant inlassablement leurs paroles dans ma tête :

« Dégueulasse »

« Thon »

« Ennuyeuse »

« Personne ne voudra d'elle »

Des larmes se produisirent et je sanglotai. Je couvris mon visage de mes mains, complètement anéantie. Pourquoi ont-ils fait ça ? Tout cela, je le savais déjà ! Alors pourquoi est-ce que cela me blesse-t-il tant venant de leurs bouches ? Chaque mot prononcé avait été un coup de poignard. Pourtant, je me les adressai tous les jours. Je ne pouvais pas craquer, il fallait au moins que j'attende de retourner chez moi pour le faire. Il fallait que je me ressaisisse, je n'avais pas le choix. Il était l'heure du cours d'espagnol. Je me relevai difficilement. Je devais me contenir, ne rien laisser entrevoir, faire comme si rien ne s'était passé. J'essuyai mes larmes avec le revers de mon bras et aspergea mes yeux d'eau pour dissimuler leur rougeur. Je tentai d'esquisser un sourire et sortis de cet endroit maudit.

Pourvu que personne ne le remarque.





La dame de CoeurOù les histoires vivent. Découvrez maintenant