Chapitre 4

82 10 11
                                    


Dans ce monde, il existait des personnes bien différentes des unes et des autres ; tout le monde n'était pas regroupé dans un même pays ou dans une même ethnie et si on faisait abstraction de ces facteurs, on remarquait que personne ne possédait un identique caractère. D'ailleurs, cela déterminait en général dans quel groupe d'amis on se retrouvait et où on se situait dans la hiérarchie stupide du lycée. Au plus haut de l'échelle, les « populaires », généralement des mecs avec une musculature naissante et des undercuts qui laissaient à désirer et des greluches enfouies sous 50 couches de fond de teint et dont on avait l'impression qu'elles s'étaient mises d'accord pour être chacune la copie conforme de l'autre. Au plus bas de l'échelle, c'était tout le contraire, les « vilains petits canards » si on pouvait dire, principalement affublés du doux surnom de « bolosse ». On pouvait trouver de tout : des timides, des geeks, des punks, des gothiques, des intellos, des moches, des cyniques...absolument tout. Pourquoi étaient-ils ici ? Car ils étaient singuliers, marginaux. Ils n'étaient pas grande gueule, ne portaient pas des vêtements de marque qui resteraient au fin fond de la garde-robe le mois d'après, n'avaient pas un téléphone dernier cri car ils n'étaient pas des pigeons, aimaient étudier, pensaient à leur avenir et ne s'étaient pas dépucelés à 13 ans pour frimer comme les filles de petites vertus ou les kékés en survet Lacoste, avec le dernier album de Jul en musique de fond. Pourtant c'était très certainement les personnes les plus gentilles et naturelles qui puissent exister. Ces deux catégories se détestaient réciproquement, la première pensait qu'elle était au centre du monde et que le lycée entier voulait leur ressembler, ce qui n'était bien sûr clairement pas le cas car on se battait littéralement les...et la deuxième était ignorée et parfois moquée mais tant qu'elle était heureuse avec ses membres, est-ce que cela importait ? Non. Une règle stipulait que ces deux-là ne devaient point se mélanger sinon la fin du Monde se déclencherait. C'était faux, hein mais ne disait-on pas : « Qui se ressemble, s'assemble » ? Bah, c'était ça.

Je suppose qu'il n'était pas nécessaire d'être devin pour deviner dans quelle classe je m'échouais, chez les « losers ». La raison ? Moche, introvertie et inintéressante. Rien que ça. De ce fait, j'étais invisible, je n'attirais pas les gens. Aucune aura ne gravitait autour de moi. Parfois, c'était dur je me demandais ce qui clochait chez moi mais à force, j'avais fini par m'y habituer et m'était résignée à terminer ma triste vie avec 10 chats à mon palmarès.

C'était ce que je croyais.

Et là, Yuriy, prince confiant des populaires, ayant en tout sorti avec plus de 10 filles depuis son arrivée au lycée me demandait avec une gaucherie d'adolescent timide et mal dans sa peau de sortir avec lui. Est-ce que Dieu avait décidé de mettre le bazar au sein de ma vie ? Par quelles sorcelleries était-ce arrivé ? Je n'en revenais toujours pas, cela paraissait être une mauvaise plaisanterie et pourtant sa sincérité dans ses paroles était troublante. Mais il y avait quelque chose d'étrange chez lui, il me percevait en tant que rousse aux yeux verts, alors que j'étais le contraire. Cela me rappelait d'ailleurs l'une de ses nombreuses ex, Catarina qui était celle avec laquelle il était resté le plus longtemps, c'est-à-dire 3 mois. Elle était rousse aux yeux verts. Était-ce possible que je lui remémorais son ex ? Non, cela n'avait aucun sens.

Je poursuivais à me creuser la tête pour trouver une explication rationnelle à ce problème tout en essayant de rédiger une sous-partie d'un commentaire en Français. Je séchais complètement...Je me répétai ce que je lui avais dit à la suite de cette déclaration enflammée, il y a 2 heures :

« Euh...tout ça est un peu trop soudain. L...Laisse-moi réfléchir...Avais-je balbutié.

-D'accord mais ne me fais pas trop attendre. »

Après cela, je n'avais pas osé lui demander pourquoi il avait fait cette incohérence au sujet de mes cheveux et de mes yeux. J'étais bien stupide. La sonnerie retentit et je m'enfuis de ce cours barbant, soucieuse, ne laissant pas le temps à mes amies de me rejoindre. Il fallait que je m'épile de retour chez moi...J'en avais déjà mal d'avance. Je prenais soin d'esquiver les personne qui couraient dans tous les sens dans le couloir étroit du lycée. C'est à ce moment-là que Catarina passa près de moi, sa crinière de feu au vent. Je m'attardai à la fixer et celle-ci me lança un regard interrogateur en guise de réponse, puis je continuai mon chemin. Nous n'étions absolument pas la même personne...

J'inspirai profondément avant que ma tante n'appliqua sur mes jambes la cire et commença son travail. Mes pensées ne tardèrent pas à tournoyer dans mon esprit pour me faire un peu oublier la douleur. L'épilation avait un certain impact psychologique sur moi, il arrivait souvent que je me sentais déprimée après la séance car je me rendais compte que j'étais anormale. Je me souvins des moqueries que je subissais lorsque j'étais petite : j'étais la seule fille à être poilue. Les surnoms tous plus méchants les uns que les autres fusaient de toute part, alors que je contenais mes larmes, le cœur brisé.

« Tout va bien Drisana ? Tu sembles tendue. » Questionna ma tante, inquiète.

-Oui ne t'en fais pas. » Dis-je, simulant un sourire.

Quand tout fut terminé, je montai vers la salle de bain et y rentrai pour aérer ma conscience. Je plaçai mes mains sur le lavabo et fis le vide dans ma tête ; je ne devais plus repenser à cela. Mes yeux se perdaient dans la couleur du lavabo et d'un coup, remarquèrent quelque chose dans mon reflet et se relevèrent. J'en fus médusée, il n'y avait pas mon reflet mais celui d'une autre personne. Elle avait les cheveux roux, les yeux verts et des traits harmonieux. Par réflexe, je bougeai mes bras et les mouvements concordaient avec ceux du reflet. C'était impossible. Je vacillai et tombai au sol. Ce ne pouvait pas être vrai ! Je vérifiai encore une fois mais je me retrouvai nez à nez avec mon visage répugnant. Je n'avais pourtant pas rêvé, c'était réel. Que se passait-il ? Devenais-je folle ? Je ne me sentais pas bien, cela m'horrifiait, le visage qui était apparu était proche de celui de Catarina. Je me recroquevillai sur le tapis de bain et m'efforçai à me calmer. Je me remettais à m'attribuer les visages des autres, comme en sixième, le psychologue m'avait pourtant aidé à ne plus le refaire. Je réprimai un sanglot, non, je n'allais pas commencer à faire une crise d'angoisse. J'en avais assez, je me torturais trop. Je devais vivre comme les autres car c'était dans mon droit, même si j'étais hideuse, je devais exister. 

Durant la soirée, je me reposai dans mon lit et méditai sur mes années collège, très souvent les années « bof » ou « nulles » des adolescents. J'en gardai des bons et des mauvais souvenirs, c'était le lieu où j'avais rencontré mes amies et aussi le lieu où ma confiance en moi s'était définitivement évaporée.Subir l'ignorance et le rejet de certains avait été atroce pour moi, qui ne cherchait qu'à discuter et à connaître beaucoup plus de monde. Pour la première fois, j'avais été confrontée à mon visage et à mon corps à travers leurs yeux et leurs rires, c'est là que mes parents avaient décidé que j'aille consulter un psychologue, pressentant un problème. Celui-ci m'avait un jour, parlé de dysmorphophobie, un trouble où on a l'impression constante que nous ne sommes pas comme les autres, que n'importe quelle partie de notre corps pouvait être déformé selon les patients. Je ne compris pas ce qu'il insinuait et pensai qu'il était inutile. Il constata que je ne souffrais pas d'un niveau sévère mais de nombreux complexes qui pouvaient s'aggraver au fil du temps. Il disait aussi que ma faible estime entraînait une certaine haine et une apathie à l'égard des autres. Il avait écouté attentivement ce que j'avais enduré en sixième et cela confirma son bilan. Même maintenant, tout ce qu'il avait dit était faux, il avait tenté de me soulager en me mentant, en me disant que ma laideur provenait de ma tête. A l'entendre, on pouvait croire que la laideur n'existait pas en ce monde. Je devrais cesser de songer à cet incompétent et me concentrer sur la décision que j'allais m'apprêter à prendre concernant Yuriy. Il s'avérait qu'il était complètement déconnecté de la réalité et qu'il me visualisait comme l'une de ses ex, chose que je commençai à ressentir. Un sourire naquit sur mes lèvres en même temps qu'une idée émergea de mon esprit :

Et si je lui donnais un avant-goût de ce que ça faisait de se sentir comme le dernier des minables ?

La dame de CoeurOù les histoires vivent. Découvrez maintenant