Je m'assis sur les marches, devant un centre commercial, là où nous nous étions donnés rendez-vous. J'étais en avance, une accoutumance que j'avais héritée de ma mère. Elle ne tolérait pas d'être en retard, que ce fut pour une consultation ou une visite chez quelqu'un. J'en profitai pour rêvasser, en observant les hommes et les femmes, j'adorais faire cela. J'inventai tout une histoire pour chacun d'entre eux. Aussi loin que je me souvienne, je m'étais toujours intéressée aux autres, souhaitant découvrir leur histoire. Je voulais tout savoir d'eux, ce qui était risible pour une fille telle que moi, qui redoutait d'aller vers les autres. Timide était le mot qui me décrivait et depuis toute petite, je savais que ce n'était pas un compliment. C'était une géhenne que d'être présente aux repas familiaux parce qu'inévitablement, je m'ennuyais et certaines personnes ne se privaient pas de me ressortir infiniment cette même phrase : « Bah, alors, tu ne parles pas ? » et ensuite elles faisaient remarquer à ma mère : « Qu'est-ce qu'elle est timide ta fille ! ». Je les détestais, parce que j'avais honte d'être ainsi et elles, elles me rappelaient à quel point j'étais nulle. Ma nature contrastait avec celle de ma sœur, qui était sociable de naissance. Nous mettre côte à côte revenait à nous comparer. Était-ce si grave que ça d'être timide ? Ce n'était pas une maladie pourtant, même s'il était vrai que c'était handicapant. Je ne parlais pas à mes camarades mais j'avais des amies, je n'étais pas seule au lycée. Alors que voulaient-elles de plus ? Qu'attendaient-elles de moi ? Que je fus comme ma sœur ? Que je bavarde avec tout le monde même avec des inconnus dans la rue ? A chaque fois, je perdais mes moyens quand elles me blâmaient et ma tante posait fréquemment sa main sur la mienne et me consolait de ses yeux que je ne devais pas écouter ces imbéciles et m'en vouloir, que j'étais une fille au grand cœur et que j'étais intelligente. Que j'étais unique. Je la remerciais tout le temps, la conscience allégée.
Yuriy émergea des escaliers de la station de métro située en face de moi et je lui fis signe de ma présence. Il n'était pas nécessaire de préciser qu'il était très bien apprêté. Cela m'avait toujours étonnée, généralement les garçons se souciaient peu de leur apparence vestimentaire. Nous nous fîmes la bise, hasardeux et notre virée dans le 13ème put enfin s'amorcer.
Cela faisait plusieurs minutes que nous flânions sur une des longues avenues du quartier et redécouvrir ce paysage me ramenait à de belles époques. Mes amies et moi avions tendance à venir là, s'esclaffer à gorge déployée, entrer dans les magasins chinois et se rendre dans un buffet à volonté. Après être rassasiées, nous buvions un bubble tea tout en déambulant dans une boutique vendant des objets à l'effigie de stars coréennes. Ces souvenirs qui m'étaient précieux valaient bien plus que n'importe quelle fête.
« J'ai rarement mangé asiatique. Est-ce que c'est bon ?
-Oh que oui ! Je suis sûre que tu saliveras devant les raviolis chinois et les brochettes de poulet.
-Je te fais confiance. Est-ce encore loin ?
-Non, c'est juste là. »
Dès que je poussai la porte du restaurant, le fumet des plats chatouilla nos narines et la lumière tamisée nous accueillit. Sans pour autant hausser le ton, les clients parlaient avec passion et le climat était chaleureux et animée. Sur préférence de ma part, nous prîmes place au comptoir, où le cuisinier s'attelait à sa tâche. Je commandai tandis que Yuriy examinait le menu, cherchant le meilleur plat à opter. Alors que nous étions en train de savourer notre repas, nous nous mîmes à discuter de tout et de rien. Lors de cette conversation, j'en appris beaucoup sur lui, notamment sur son enfance, passée exclusivement avec sa grand-mère en Russie pendant les vacances. Je me sentis coupable de l'avoir jugé hâtivement à la rentrée, certaine qu'il était un gars idiot et orgueilleux comme il y en avait tant parmi les populaires du lycée. Il n'était rien de tout cela et de plus, son masque parfait s'effondrait peu à peu lorsqu'il me confit ses craintes et ses doutes. Il n'avait pas d'excellents résultats et se préoccupait de son avenir. Voyant que ses notes en langues ne décollaient pas, il avait décidé de prendre des cours particuliers. A l'inverse de moi, il se débrouillait comme un chef en économie, il était pratiquement au même niveau qu'Helena. Je l'écoutais attentivement, captivée par ses paroles. Je fus d'une lucidité extrême et conjecturai que chacun d'entre nous était façonné par le jugement des autres. Yuriy était pour moi un garçon populaire qui avait confiance en lui et qui ne faisait que s'amuser dans sa vie. Mais l'était-il réellement ? En avait-il conscience, de l'effet qu'il pouvait produire ? Peut-être que non. Un fossé nous séparait, nous étions dans deux mondes divergents et pourtant, nous étions là, au même comptoir. Il n'était pas différent des autres garçons ; il cafouillait quelque fois, il se trompait, il sortait des inepties. Il était loin de cette image parfaite et intouchable qu'on lui avait donnée, que JE lui avais donnée. Cela n'allait pas effacer ma culpabilité, je m'étais complètement fourvoyer sur sa personne. Il n'était pas celui qu'il prétendait être. Seuls ses amis le connaissaient vraiment et encore, j'en doutai.
VOUS LISEZ
La dame de Coeur
RomansaDrisana n'a jamais vécu une histoire d'amour comme ses consœurs, du fait de son visage disgracieux qui repousse les garçons de son âge. Mais alors qu'elle se résigne à terminer seule toute sa vie, elle reçoit à Noël un rouge à lèvres couleur sang, o...