0 - présentation

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Alvaro Williams préférait les nœuds papillons aux cravates. Porté avec un pull bordeaux ou une chemise en jean, cet accessoire le rendait tout de suite plus élégant, et mettait en valeur ses yeux d'une rare beauté. En effet, ses iris comprenaient plusieurs nuances de bleus : en partant de l'extérieur, ils étaient marine, puis la couleur se délavait, jusqu'à ressembler à du cristal.

Alvaro Williams aimait prendre soin de lui, se regarder dans le miroir pendant des heures afin de trouver la tenue parfaite, raser minutieusement sa barbe et élargir sa collection de nœuds papillons, mais il laissait toujours une grande liberté à ses cheveux bruns. S'il se réveillait avec un épi, il passait la journée avec, sans essayer de l'aplatir ou de l'arranger. Sa chevelure était donc sans cesse en bataille, se moulant à la forme de l'oreiller, du casque audio, du bonnet...

Alvaro Williams n'était pas spécialement beau. Ses traits étaient si bruts que son visage semblait avoir été taillé à la hache, sa mâchoire était trop carrée et ses lèvres trop fines soulignaient le tout. Cependant, ses yeux clairs, presque ensorcelants, faisaient se retourner les passants. On le regardait tantôt de haut, tantôt avec admiration. On lui demandait souvent s'il portait des lentilles, et il secouait la tête avec un sourire amusé.

Alvaro Williams aimait les gens. Pour lui, le contact avec les autres était primordial, et il regrettait que tout le monde ne parle pas la même langue. Pour pallier ce problème, il s'efforçait d'apprendre le français et l'italien, de comprendre l'espagnol et l'arabe, mais surtout de maîtriser à la perfection le japonais et le chinois. Cette dernière était de loin sa langue préférée, de par sa complexité et de par le nombre de personnes qui la parlait à travers le globe. Son plus grand rêve était de rencontrer tout le monde, de serrer la main aux plus grandes célébrités mais aussi de partager un repas avec les paysans, les ouvriers et les enfants de la Terre, de visiter le Taj Mahal et le lendemain de monter au sommet de la Tour Eiffel.

Alvaro Williams habitait New York. Il travaillait dans le domaine boursier, au dernier étage d'un gratte-ciel, derrière un écran d'ordinateur et à quelques centimètres du téléphone. Son bureau se trouvait du côté de la baie vitrée, ce qui lui offrait une vue imprenable sur la ville. Son regard se perdait souvent par la fenêtre, et il pensait alors à la grandeur du monde, et à tout ce qui lui restait à découvrir, à tous les sols qu'il n'avait jamais foulés, à toutes les personnes qu'il ne connaissait pas. Le téléphone finissait par sonner, et il revenait à la monotone réalité, celle dans laquelle il se levait tous les matins à la même heure, prenait le même petit déjeuner, empruntait la même route, s'engouffrait dans le même ascenseur, pour s'asseoir sur la même chaise et avoir le même salaire à la fin du mois qui semblaient tous être les mêmes.

Edith Davis conduisait les phares éteints. Elle aimait le frisson qui parcourait sa peau, et l'adrénaline qui alimentait ses veines. Au volant de sa voiture, une ancienne deux chevaux peinte en vieux rose, elle se sentait libre comme l'air. Lorsqu'elle roulait de nuit, sans la moindre lumière pour éclairer son passage, la peur naissait au creux de son ventre pour s'étendre jusqu'au bout de ses doigts agrippant le volant.

Edith Davis adorait avoir peur, mais elle aimait davantage faire peur. Depuis l'adolescence, elle s'efforçait de ne pas ressembler aux autres. Au collège, quand les filles de sa classe portaient des maillots immaculés et des chemises parfaitement repassées, elle optait pour des jeans troués, des t-shirts aux couleurs de ses groupes de musique favoris et elle peignait ses ongles en noir, sa couleur fétiche. Cette différence l'avait éloignée de beaucoup, mais rapprochée de certains, qui avaient le même état d'esprit qu'elle.
Edith Davis été attirée autant par les femmes que par les hommes. Si elle raffolait des parfums acides, des barbes taillées et de la musculature d'un garçon, elle aimait tout autant la grâce et les courbes du corps féminin.

Edith Davis n'avait aucune morale. Depuis toujours, elle faisait ce qu'elle voulait, quand elle le voulait. Personne n'avait jamais réussi à lui donner des ordres, ou à la faire rentrer dans un cadre : elle finissait toujours par le dépasser, par franchir la ligne, par crier haut et fort sa vision du monde et à balancer à la figure des autres ce qu'elle pensait d'eux. D'ailleurs, la phrase qu'elle disait le plus souvent était : « et si ça ne plait pas, tant mieux ! ». Elle était insolente, insupportable, mal élevée, et elle adorait cela.

Edith Davis avait grandi à Manchester, entourée de ses parents et de sa petite sœur. En juillet 1997, sa mère a décidé de l'envoyer dans un pensionnat renommé de Bristol, au sud-ouest de l'Angleterre, dans l'espoir de changer son comportement. Elle qui pensait vivre l'enfer, cela avait été de loin les plus belles années de sa vie.

Edith Davis vivait au jour le jour. Elle n'avait aucun projet en tête, son avenir n'était pas tout tracé. Si elle rencontrait quelqu'un, elle passait du temps avec lui, jusqu'à ce qu'il s'en aille. Elle n'était jamais triste, n'avait jamais de regrets. D'ailleurs, elle avait volontairement rompu tout contact avec sa famille dès sa majorité. Elle aimait avant tout être seule, pour écouter de la musique que peu connaissait, regarder des films où les acteurs étaient mauvais, et penser comme personne ne pensait.

Mon insaisissableOù les histoires vivent. Découvrez maintenant