14 - partout

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Juin 1997

Elle était partout. Elle se faufilait entre les gens, courait sur les murs, glissait au plafond pour être toujours dans le champ de vision d'Edith. Et même lorsqu'elle fermait les yeux, elle était toujours là, elle traversait ses paupières et venait se graver au plus profond de son âme.

Mia était partout, et chaque fois qu'Edith la voyait, elle voulait crier, comme un mois plus tôt à sa fenêtre. Elle voulait lui prendre la main, la retourner, l'embrasser à pleine bouche en s'agrippant à ses cheveux, lui griffer le dos en se serrant contre elle, puis la regarder dans les yeux et lui dire : Merde, tu me manques.

Mais elle ne faisait rien, évitait son regard et s'arrangeait pour ne jamais la frôler. Heureusement, elle avait choisi une filière scientifique, et Edith avait opté pour la littérature. Elles n'étaient pas dans la même classe, ne fréquentaient pas les mêmes personnes, ne mangeaient pas en même temps. Elles étaient devenues des inconnues.

Un jour pourtant, Edith s'était rendue aux toilettes, et était tombée nez à nez avec Mia, qui fumait par l'étroite fenêtre, comme elles avaient l'habitude de le faire ensemble : elles demandaient au professeur de sortir de cours, prétextant un mal de tête, et fumaient aux toilettes, craignant de se faire surprendre à chaque instant. Dès qu'Edith repensait à ses moments, un sourire nostalgique apparaissait sur ses lèvres.

Cette fois-ci, l'ambiance était nettement différente. Les deux filles se regardaient en chiens de faïences, en cherchant à déterminer laquelle était la plus heureuse, après leur rupture. Mia n'avait pas maigri comme Edith. Elle avait même pris quelques kilos, mais cela lui allait à merveille.

Elle semblait se porter mieux que jamais, même si de profonds cernes sous ses yeux témoignaient de longues insomnies. Edith s'avança lentement vers les lavabos, et laissa couler l'eau pour combler le silence, puis elle s'apprêta à sortir, quand Mia lui parla enfin :

- Ne pars pas à cause de moi.
- C'est bien ce que tu as fait, non ?

Septembre 1997

Le son du réveil n'avait définitivement pas manqué à Alvaro. Cependant, il le fit taire et se leva rapidement. D'habitude, il restait éveillé dans son lit, pour profiter de quelques minutes supplémentaires sous les draps, mais cette fois-ci il marcha sur la pointe des pieds jusqu'à la fenêtre, qu'il ouvrit en grand.

L'air était frais, mais ses amis étaient trop endormis pour s'en rendre compte. Aujourd'hui, c'était la rentrée pour tous les élèves du lycée de Bristol. Il espérait évidemment revoir la fille aux cheveux blancs, et son pouls s'emballa lorsqu'il constata que la lumière dans sa chambre était allumée.

Il se pencha pour tenter de l'apercevoir, et il finit par deviner son ombre derrière les rideaux. Elle enfilait un jean et sautait sur place pour le remonter le long de ses jambes. Cette vision amusa beaucoup Alvaro, mais il s'efforça de rester le plus discret possible. Il attendait avec impatience qu'elle ouvre la fenêtre, comme si elle attendait aussi ce nouveau jeu entre eux, mais elle ne le fit jamais, et bientôt Peter et Jackson se réveillèrent.

- Encore à la fenêtre ? s'étonna le brun, en se frottant les yeux.
- Tu sais qu'il n'y a pas d'étoiles, le jour ?
- Bien sûr que si, s'indigna Alvaro, c'est juste qu'on ne les voit pas.

Il s'enferma dans la salle de bains que se partageaient les trois adolescents, prit une rapide douche, choisit sa plus belle chemise et retourna dans la chambre, prêt pour cette première journée. Il se promit de regarder partout, à la moindre occasion, pour revoir la fille.

Mon insaisissableOù les histoires vivent. Découvrez maintenant