Partie 2

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J'entre enfin, je pose mes clées dans l'écuelle prévue à cet effet, posée à ma gauche sur un meuble rectangulaire d'environ un mètre de haut. Je traverse la cuisine et le salon dépourvu de lumière pour ouvrir la porte fenêtre qui donne sur notre jardin, le tout sur la pointe des pieds et dans une discrétion et un silence digne des plus grands ninjas du siècle. Une fois dehors, je m'étale sur l'herbe pour repenser à cette soirée. Les yeux tournés vers la grande voûte, je me met à penser. À penser à ma mort, à penser aux beuveries, aux gens, à ma famille.

Et Shading me vient soudainement en tête. Je ne sais pas comment notre relation allait évoluer et je crois que je ne voulais pas savoir à ce moment là. Et alors que j'allais me torturer pour savoir si je devais le mettre dans la confidence, une boule de poils baveuse et affectueuse me saute dessus. Je me débats en rigolant afin d'éviter ses coups de langues joyeux lorsque je vois une silhouette dans l'encadrement de la porte, dessinée dans l'ombre de la lumière du salon. En me redressant, j'aperçois ma mère, le visage mi-désespéré, mi-affligé.

« -Sunshine...

-Maman, il me reste combien de temps à vivre ?

-Le docteur Finigan te le dira dans une semaine...

-Bien. Alors j'ai encore une semaine pour boire et fumer tout ce qui se boit et tout ce qui se fume.

-Sunshine...

-Quoi maman ? Ta fille va crever, mais avant ça, ta fille veut vivre ! Elle veut baiser, elle veut se bourrer, elle veut se défoncer la gueule à coup de substances hallucinogènes. A défaut d'aimer pour de vrai, ta fille veut vivre dans le faux, comme pour dire que sa mort n'est qu'un film, qu'un coup monté, quelque chose d'irréel, que c'est un rêve et que vous allez tous vous réveiller un jour et oublier que j'avais existé un jour. Que j'étais qu'un putain de rêve. »

J'ai doucement élevé la voix, au fil de mes mots. Les larmes se sont formées aux coins de mes yeux, mais elles ne tomberont pas. Ma mère a la bouche ouverte, comme si elle allait répliquer quelque chose, mais finalement, elle la referme et retourne se coucher dans un pas lent et las. Je crois qu'elle vient enfin de se résigner. Je n'ai pas envie de me faire soigner parce que je sais que mes parents seraient ruinés, et que de toute manière, ça n'allait servir à rien. Les cellules malades allaient trouver un nouvel hôte dès que celui qu'elles occupent sera soigné.

Je reste dehors encore quelques minutes en enfouissant mes doigts dans les longs poils de Tyson. Ce chien est le seul ami que je n'ai pas dégoûté. Le seul ami dont je ne me suis pas détaché. Je me suis levée, je l'ai appelé à me suivre et je suis rentrée. J'ai fermé la porte fenêtre à clé, j'ai pris mon sac, que j'avais laissé sur la table et je suis montée dans ma chambre, mon chien sur mes talons. Quand j'ai ouvert la porte de ma chambre, il a sauté sur mon lit pour se faire sa place habituel dans ma couverture laissée en bordel. Je prends mon téléphone et je souris en voyant que Shading m'a envoyé plusieurs textos.


De : Shading.
À : Sunshine.

Hey


De : Shading.
À : Sunshine.

T'as pas trop les idées en vrac ? Le jus d'orange peut être aussi mauvais que l'alcool.


De : Shading.
À : Sunshine.

Au fait, tu ne m'as pas dis. Que veux-tu faire dans la vie ? Je crois que je ne me suis jamais posée la question.


Je regarde ce message longuement, cherchant une réponse. Mon téléphone vibre, me tirant de ma réflexion intense.

De : Shading.
À : Sunshine.

Et elle s'appelait Sunshine.Où les histoires vivent. Découvrez maintenant