Partie 5

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~ Huit mois plus tard ~


Désormais plus de huit mois que je connais Shading. Nous nous comportons comme un couple, c'est assez déstabilisant. Je crois que nous en somme devenu un, au fil du temps. On dort ensemble, l'un chez l'autre, nos parents se connaissent désormais, aussi bien sa mère et son beau père que son géniteur et ses petits frère m'aiment bien... Un couple. Mais... En huit mois, aucun geste déplacé de sa part ou de la mienne. Serais-je malade ? Oui, la preuve, je vais m'en aller embrasser les étoiles dans moins d'un an. Et Shading ne le sait toujours pas. Ma mère m'en parles parfois. Elle me conseille de lui dire, de me livrer à lui. Je le devrais, c'est certain... Mais j'ai maintenant trop peur de le perdre, de le faire fuir. Qui voudrait d'une bombe à retardement, dont le décompte est déjà lancé ?


Je reçois un appel de Shading, ce qui me tire de mes sombres pensées.


« Hey Sha-

-Sunshine, viens vite à l'hôpital, s'il te plaît, Shading a...

-J'arrive !

-On est dans le couloir des urgences. »


Sa mère était à l'autre bout du fil. Sans aucune hésitation, je saute de mon lit, pour enfiler une paire de basket, une veste, prendre mon sac et sortir de la maison, en la verrouillant rapidement. Je crois que je n'ai jamais été aussi rapide pour un 100 mètre. Je m'arrête juste devant le panneau de l'arrêt de bus. Il arrive dans 10 minutes, je serais plus rapide en courant. Alors, ni une, ni deux, je reprends ma course folle en direction de l'hôpital, plus précisément des urgences, comme un automatisme.


Mes poumons sont en feu, mon visage doit être écarlate, mais je ne m'en soucis pas, l'adrénaline qui coule dans mes veines m'empêchant de ressentir la moindre fatigue. Je ne pas laisse le temps à sa mère de me dire ce qu'il lui est arrivé, mon imagination crée les pires scénarios possibles. Mais quand je la vois, en larmes, mon sang ne fait qu'un tour. Je la prends dans mes bras, je crois que l'adrénaline dans mon sang ne me fait pas réagir, c'est comme si mes pensées étaient figées. Je frotte instinctivement son dos, de haut en bas, doucement mais fermement, passant plusieurs fois à l'endroit où se situe une petite bosse causée par son soutient-gorge, sous au moins deux ou trois couches de vêtements. Je vois le père de Shading, James, avancer à grandes enjambées vers nous. Maria relève la tête, les yeux rougis et les joues noyées de larmes. Je m'écarte d'elle pour saluer James. Son expression, habituellement si joyeuse, a laissé place à un voile d'inquiétude.


Alors que mes lèvres s'entrouvrent pour le questionner, une horde d'infirmiers et deux docteurs, je crois, se sont pressés autour d'un lit, passant juste derrière James. Mes yeux s'ouvrent rond comme des soucoupes en reconnaissant une tignasse rousse posée sur un oreiller immaculé d'un liquide rouge pourpre. Ses paupières sont closes, le temps semble figé pour lui, au milieu des personnes en blouses blanches qui s'affairent autour de lui. Tout semble se vivre à une vitesse folle tout autour de nous, mais pour moi, comme pour lui, le temps est suspendu. Mes yeux commencent à s'embuer de larmes, mes mains à trembler, mon cœur à se déchirer et enfin, mes forces à me quitter. J'ai vu ce genre de scène des dizaines de fois, d'un œil totalement extérieur. Et maintenant, je comprends ces femmes qui pleuraient. Les médecins hurlent pour faire dégager le passage.


« On a un coma et une hémorragie. Poussez-vous ! »


Combien de temps je ne reverrais plus son sourire ? Combien de temps je  n'entendrais plus sa voix ? Combien...


Sous ces questions, mes jambes me lâchent. L'émotion est trop forte, mon esprit se déconnecte de mon corps. Et pendant près de dix minutes, mes sens sont paralysés par l'effroi. James et Maria m'appellent mais rien n'y fait, je reste sans réaction, les yeux rivés sur le lit blanc.


Quand je reprends mes esprits, mon premier réflexe est de me ruer vers les toilettes. Pas le temps se réfléchir, j'entre dans la première cabine ouverte et le petit déjeuner que je n'ai pas pris ce matin est ruiné. Je peste intérieurement, les yeux remplis de larmes. Je reste une bonne vingtaine de minutes assise sur le sol trop propre, en boule, à pleurer toutes les larmes de mon corps. Puis Maria vient toquer à la porte, je lui ouvre, les yeux rougis et gonflés par le flot de larmes que j'ai versé.


« Qu'est-ce qu'il-
- Une voiture l'a renversé, il venait te voir, il voulait te faire une surprise.»


Les larmes perlent à nouveau sur mes joues rouges, ma vision est floue, beaucoup trop troublée pour que je trouve la sortie. J'ai besoin de sortir. Cette pensée m'obsède pour ne pas lâcher prise. C'est ma faute. Il est sorti pour me voir. J'ai l'impression que le monde s'effondre et que je ne le reverrais plus alors je m'accroche à la moindre petite pensée. Je dois sortir d'ici. En essuyant mes yeux avec insistance, je réussit à me frayer un chemin entre les infirmières et les aides soignantes. Beaucoup trop de femmes dans ces hôpitaux. Dans tout ceux que j'ai fréquenté, les docteurs étaient majoritairement masculins et les infirmiers peu nombreux.

Je prends conscience de la douleur que je laisserais quand je partirais. J'étais persuadée que je laisserais un vide qui se comblerait rapidement avec un chiot ou un poisson rouge. Mais je venais de comprendre que c'était bien plus que ça. Que c'était bien plus qu'un trou, que c'était un réel vide, un grand néant qui s'annonçait pour ceux qui resteraient. Je m'en rendais enfin compte. Et il m'aura fallut deux ans et deux mois. Il me reste 10 mois. C'est peu.

J'étais résolue à parler de toute cette histoire à Shading.

~ Une semaine plus tard ~

Shading s'était réveillé. Je passais mes journées à l'hôpital. Je me sentais coupable. Mon état de santé ne s'améliorait pas, le stress n'ayant rien arrangé. Le Docteur Finigan s'inquiétait pour mon état de santé, mais je m'en fichais. Je m'inquiétais pour Shading. On était vendredi et ça faisait cinq jours qu'il avait rouvert les yeux. J'étais là, mon visage avait été la première chose qu'il a vu. Il s'en tirait bien. D'après les médecins, il pourrait sortir ce jour même. J'étais contente.

Mais j'étais angoissée. J'avais peur qu'il m'en veuille de ne lui avoir rien dit. Voilà plus de neuf mois que je lui cachait mes rendez-vous chez le Docteur Finigan, les nuit où je ne dormais pas, parce que j'avais vomis durant des heures. Ma décision était prise. Je lui annoncerais aujourd'hui. J'avais presque finis de rédiger la lettre que j'avais commencé le 25 avril de l'année dernière. Je suis d'ailleurs en train de l'imprimer.

Shading m'a promis de passer dès qu'il serait sorti. Nous avons convenu qu'il dormirait chez moi, pour rattraper la semaine perdu, à dormir loin l'un de l'autre. Mes nuits en avait été plus qu'agitées.

Shading vient de sonner. Je plie en vitesse les deux feuille qui constituent la lettre et vais lui ouvrir. Son teint est encore pâle, mais il a un grand sourire. Sourire que je peine à lui rendre.


« Eh, bah alors ! C'est quoi cette tête ?

- Il faut qu'on parle... Montons.»

Le roux me suit, silencieux, avec un visage grave. Je m'en veut de l'inquiéter autant. En entrant dans ma chambre, il s'assoit sur mon lit. Je lui tends les feuilles, silencieuse, des perles d'eau clair se formant aux coins de mes yeux. Sans un mot, il les saisit, et je m'assoit à ses côtés. Nous nous allongeons et il commence sa lecture.

Et pendant qu'il lit, je pleure en silence contre lui.



Et elle s'appelait Sunshine.Où les histoires vivent. Découvrez maintenant