Partie 14

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Où suis-je ?

Je ne le sais pas. Je suis entre le vide et le néant, quelque part dans l'interstice qui sépare ces deux notions, ces deux nuances de rien. L'absence du tout. Perdue.

Alors je marche. J'avance, je n'ai que ça a faire. Je ne cherche même pas à savoir si tout est blanc ou noir autour de moi, le rien n'a pas de couleur. Plus j'avance, et plus une percussion régulière vient agiter mes tympans. J'identifie ça comme le battement d'un cœur. D'un tout petit cœur. C'est elle. Elle grandit doucement au creux de mon ventre, entre l'estomac et la vessie, depuis quelques mois. J'entends son cœur battre. Mon pas se fait plus pressant. Je veux la rencontrer. Je sais que ce n'est qu'un rêve. Malgré tout, je veux voir son visage. Je veux la voir.

Elle est tout près. Je la sens, je l'entends. Je sais qu'elle est là, tout près. Je me mets à courir comme jamais je n'ai courut dans ma vie. Une porte en chêne brun est dressée devant moi, se tenant debout grâce au pouvoir du saint esprit. Au milieu de nulle part, cette porte me dit, me hurle littéralement de l'ouvrir. J'hésite. Quand je me décide, elle recule. Je cours à nouveau après elle, le bras tendu.
J'ouvre enfin la porte devant moi. Derrière elle, je découvre Shading avec un bébé dans les bras. C'est une image brève, parce qu'une violente nausée me réveille. Je cours une fois de plus en catastrophe et de bon matin dans la salle de bain, avant même d'avoir mangé. Shading me rejoins et entreprend d'attacher mes cheveux .
Je me rince puis m'allonge en espérant que mes vertiges cessent. Je ferme les yeux et quand je les rouvres, le petit déjeuner est sur la table basse de la chambre. Je me jette dessus sans attendre. Shading me sourit.

« Qu'est-ce qui te fais sourire ?
- Toi et ton appétit.
- Je mange pour deux maintenant. »

Je me freine un peu. On aurait pu croire que je n'avais pas mangé depuis sinon à quitté Londres.
Cet après-midi là, on était sorti dans les rues de Madrid. J'avais résisté à la chaleur printanière de cette belle capitale. C'était beau Madrid. C'était agréable les mots chantants de l'espagnol. Et ce séjour est passé à ne vitesse folle. J'ai adoré aller dans ce bar où les gens jouaient du rock au sous-sol. J'ai adoré les rues où on ne se sent pas étriqués entre les immeubles. On a même eu le temps d'écouter une conférence à propos de la révolution verte. C'était très vite ennuyant, alors on est parti.
J'ai adoré Madrid. Et Lisbonne et ses boutiques ouvertes jusqu'à 1h du matin, ses sardines dans tout les restaurants ou presque, l'architecture, les statues, la gaieté de la ville et ses couleurs. Les séjours passaient à des vitesses folles. Les photos se multipliaient sur Ilness versus me : Travel info the world, les personnes qui suivaient notre aventure arrivaient en masse. Je ne m'attendais pas à un tel intérêt.
Et puis vint le 8 avril. On est à Moscou, en Russie. Aujourd'hui, j'ai 18 ans. C'est dans le lit de l'hôtel que commence la journée. Shading n'est plus à côté de moi. Pas de nausée. Quel miracle !

La porte s'ouvre, mon rouquin me rejoins. Il me serre tendrement contre lui, je pose ma tête sur son torse. Je suis sereine.

« J'ai commandé le petit déjeuner. Et j'ai trouvé ça, pour fêter ta 18ème année.»

Il me tend une petite boite blanche et rectangulaire. J'arque un sourcil, dubitative.

« Tu es conscient que si c'est un bijou, je vais te rire au nez ?

- Non, c'est sûrement plus sentimental et personnel qu'un bijou.»

J'ouvre alors la boite en question. A l'intérieur, j'y trouve des photos polaroïd de nous, de nos voyages. Je lui sourit doucement et le remercie chaleureusement.

Le room service arrive, nous réceptionons le plateau et nous nous installons devant la fenêtre pour observer la ville. Tout est calme, on est loin de l'agitation parisienne ou berlinoise !

Les matinées moscovites sont froides, de la buée s'est formée sur les vitres de la chambre. Mais ça donne un charme à cette ville, l'ambiance y est calme. Je trouve ça agréable. Malgré tout, je dois rapidement quitter cette enveloppe de douceur, enveloppée dans la couette, assise comme une enfant sur le tabouret bancale. Nous prenons des vêtements chaud pour affronter la fraîcheur des rues. Et surtout, tenter de comprendre le russe, ce qui n'est pas une mince affaire...

Des milliers de commentaires sont postés chaque jour sur notre page. C'est impressionnant... des gens suivent ce parcours. Je me dis parfois que c'est de la curiosité malsaine...

J'ai finalement été appelé par ma mère sur les coups de 15 heures en Russie, soit 13 heures à Londres. Elle m'a souhaité « bon anniversaire » et je lui ai annoncé la nouvelle... elle est restée silencieuse de très longues secondes. J'ai trouvé ce silence interminable. Et puis finalement elle a parlé. Enfin, entre deux sanglots elle a parlé. Elle a juste dit « Je suis heureuse, Sunshine. Il restera quelque chose de toi, après tout ça. » et je n'ai pas pu m'empêcher de fondre en larmes à mon tour. Elle avait raison. C'était la terrible réalité : mon enfant vivra sans mère. Il ne me connaîtra pas assez longtemps pour se souvenir de moi. Il n'aura que des photos pour se consoler.

Au final, nous avons raccroché. J'ai pris mon téléphone et j'ai allumé l'appareil photo.
J'ai alors commencé à me filmer.
« Salut. Je ne sais pas par où commencer. Mais déjà, on est à Moscou. Ça fait déjà... je ne sais plus. Mais ça fait quelques semaines je crois, qu'on sait que tu vas exister. Alors enchanté. J'aurais dû faire ça dès que j'ai su, mais mieux vaut tard que jamais. Je veux laisser une trace. Et que tu puisse avoir un peu de ta maman avec toi. Je suis tellement désolée... on ne  pourra pas avoir le temps de vraiment se connaître. Pardonnes moi. »

Et elle s'appelait Sunshine.Où les histoires vivent. Découvrez maintenant