13 [Réécrit]

70 9 7
                                    

La sonnette de la porte retentit. C'était le moment. Emma était devant. Elle attendait qu'on lui ouvre.
Moi, j'étais face à la fenêtre, toute tremblante rien qu'à l'idée de lui parler.

« T'es prête ? Demanda Jonathan derrière moi en posant sa main sur mon épaule.
-Je suis obligée de répondre ?
-Ça va bien se passer, ma chérie.»
Il me prit la main et m'emmena avec lui vers la porte. Je fermai les yeux.
« Bonjour. Annonça Emma.
-Bonjour Emma, entre. Répondit Jonathan.»
Moi aussi, je voulais la saluer. Mais aucun son ne sortit de ma bouche. J'ouvris enfin les yeux.

On alla s'asseoir, Jonathan lui proposa quelque chose à boire, mais elle déclina l'offre.
Elle était juste en face de moi. Je la regardai. Sans le savoir, je n'aurai jamais deviné qu'elle était ma fille, mais en l'inspectant de plus près, je remarquai qu'elle était un parfait mélange de Jonathan et moi. C'était troublant.

« Est-ce que tu m'en veux ?»
Je m'étonnai. Ces mots étaient sortis tous seuls de ma bouche, comme si je ne m'étais pas contrôlée.
Mais de toute façon, je voulais poser la question.
« Je sais pas ce que j'aurais fait à votre place. Répondit simplement Emma.
-Quand j'ai su... Que c'était moi, il fallait que j'arrête de te parler. Annonçai-je. Je ne voulais pas que tu le saches.
-Ça veut dire que vous ne m'auriez jamais rien dit ?
-Non.»
Emma avait l'air d'avoir peur de répondre, mais son mécontentement se voyait.

« J'imagine que... Que tu veux connaître toute l'histoire ?»
Elle hocha la tête. Quelle question Delphine, bien sûr qu'elle voulait connaître toute l'histoire, elle était là pour ça !

Je décidai de me lancer, après avoir lancé un regard à Jonathan.
« Quand j'ai appris que je t'attendais... C'était le jour de mon anniversaire. Le vingt-trois juin deux mille précisément. J'avais seize ans. J'ai pleuré. Je ne pouvais pas me faire à l'idée que moi, j'étais enceinte.
Alors je l'ai dit à Jonathan, il allait sur ses dix-huit ans à l'époque. Moi, j'étais en fin de seconde, et lui allait passer son bac.
-Puis on l'a annoncé à ses parents. Ajouta Jonathan.
-Et évidemment, ils l'ont très mal pris. Continuai-je. En même temps, notre avenir était déjà tout tracé : on était destinés à avoir une belle vie tous les deux, moi en étant prof de SVT et lui architecte. Avoir un enfant n'était pas compris là-dedans, du moins pas tout de suite... Alors j'ai décidé d'accoucher sous X.
Mes parents m'ont mis la pression. Ils ont accepté mon choix, mais personne ne devait savoir que j'étais enceinte. Ça aurait brisé leur magnifique réputation et celle de leur famille. Dis-je ironiquement. Alors j'ai passé mon année de première chez moi, en suivant les cours par correspondance. Je n'avais plus le droit de sortir, je ne voyais personne à part, de temps en temps, ma meilleure amie et assez rarement Jonathan.
Puis j'ai accouché. Le 12 mars 2001, à 19h04 précisément. J'ai pu te voir, quelques secondes, puis on t'a emportée. Une infirmière m'a dit que tu te portais bien, et que tu étais une fille, mais c'est tout. Alors j'ai... j'ai...
Je marquai une pause. Jonathan posa sa main sur ma cuisse, comprenant qu'il était encore difficile pour moi de parler de la suite.
-J'ai fait une dépression. Repris-je.
Plus rien ne comptait. Je ne t'avais plus, je ne voyais plus du tout Jonathan, j'étais totalement coupée du monde. Mes parents s'en sont seulement rendus compte au bout de deux mois et demi. Ils m'ont faite suivre par un psychologue, et ils ont commencé à m'autoriser à sortir à nouveau. Puis ils ont accepté que je retourne au lycée, et j'ai repris une vie assez normale.
À mes vingt ans, on s'est arrangés pour partir suffisamment loin de cet endroit et on s'est installés ensemble avec Jonathan. Le voir tous les jours me faisait penser au... À toi. J'étais encore fragile, et on se disputait beaucoup à cause de ça, mais... S'il n'avait pas été là, je serais sûrement retombée en dépression.»
Jonathan sourit à cette remarque.
« Et plus le temps passait, moins j'y pensai. Évidemment, c'était toujours dans ma tête, mais... Mais je m'étais dit que tu ne nous retrouverais pas. Et aujourd'hui... Tu... Tu sais tout. Comme par hasard, il a fallu qu'on se retrouve dans le même collège.»
J'avais bien résumé l'histoire. Emma me regardait, ne sachant pas vraiment quoi dire.

« Pourquoi... Pourquoi vous vous êtes intéressée à moi ? Demanda Emma après quelques minutes.
-Parce que tu... Tu m'intriguais. Avouai-je. Peut-être l'instinct maternel. Finis-je par dire.
-Et... Et maintenant... ? Articula-t-elle.
-Quoi maintenant ? Répondit Jonathan.
-Qu'est-ce qu'il va se passer...?
-On ne se reverra plus, Emma. Annonçai-je, plus sèchement que je l'aurai voulu.
-Vous allez quitter le collège ?»
J'acquiesçai d'un signe de tête.
« Mais... Pourquoi ? Demanda-t-elle.»
"Pour ne pas avoir à t'affronter plus longtemps" pensai-je.
Je me contentai de hausser les épaules.

Un blanc s'installa. Emma jeta un œil à sa montre.
« Bon, je vais y aller ; je veux pas rater mon bus.»
Elle se leva.
« Tu veux que je te ramène ? Proposai-je.
-Si on doit se quitter, mieux vaut que ça soit maintenant.»
Elle mit sa veste, son écharpe, nous salua d'un signe de tête et s'en alla rapidement.
Mais, avant qu'elle ferme la porte, je pus apercevoir quelque chose dans ses yeux : des larmes.

Ordinary StudentOù les histoires vivent. Découvrez maintenant