Envoûte-moi ...

Chapitre 13

Dante

J’avance dans les couloirs et utilise ma vitesse surnaturelle sans me soucier de Mike. Je suis trop impatient de constater par moi-même l’état de Céleste et de lui apporter éventuellement les soins nécessaires.  Je veux la protéger. Un sentiment que je n’ai pas ressenti depuis bien des années. Je veux bien sûr protéger les membres de mon clan, mais cet instinct de protection envers Céleste est très différent et très aiguisé, presque animal. Il est passionnel, obsessionnel, possessif. Je ne supporte pas qu’on la touche. C’est physique. Elle est ma chose et personne d’autre que moi ne peut poser la main sur elle.

Je ne suis pas un animal, mais je lui aurais sans doute déjà sauté à la gorge si elle ne me plaisait pas autant ! Néanmoins, sa beauté, sa douceur, son intelligence et son indifférence à l’hypnose ont fini par me convaincre de lui laisser la vie sauve, même si c’est une véritable torture. En outre, quand on trouve un sang d’une telle rareté, il faut être fou pour en tarir la source avant d’y avoir puisé tout son saoul. Mais cette petite veine qui palpite au creux de son coup quand elle s’énerve et me tient tête… J’en deviens dingue !

J’arrive dans ma chambre, où j’ai tout naturellement installé Céleste. Je me rends sans attendre dans la salle de bain où je la trouve inconsciente, en effet – et nue, à même le carrelage. Je suis d’autant plus énervé de savoir que Mike l’a vue ainsi. Elle est si belle. Elle a un corps de rêve, à l’image de ses seins généreux dont les pointes sont tendues et durcies par le froid. J’ai envie de mordre dedans comme dans une pomme bien mûre et de me repaître avidement de leur affriolant nectar. Ainsi étendue, elle est à la fois aussi touchante qu’un ange déchu et aussi tentante qu’Aphrodite.

Je commence par la sécher du mieux possible en frictionnant son corps avec une serviette pour y faire tout doucement affluer la chaleur. Quand celui-ci est sec, j’enveloppe ses cheveux avec cette même serviette. Puis je la soulève et me dirige vers la chambre. Je l’allonge délicatement sur le lit moelleux. Pour la maintenir au chaud, je la recouvre d’une douce et épaisse fourrure. Ainsi emballée dans la peau de bête, je m’assieds à côté d’elle, place sa tête sur mes jambes et dispose minutieusement un carré de tissu brodé à mes initiales sous son menton, afin qu’elle ne se salisse pas quand je lui donnerai mon sang.

Il faut qu’elle en boive, car cela la garantira des lésions que sa chute aurait pu engendrer, que ce soit  d’un point de vue interne ou externe. De toute mon existence vampirique, je n’ai jamais donné que deux fois à boire de mon sang et Dieu seul sait à quel point mon existence est longue ! Ma veine est celle d’un Roi, il est donc extrêmement important de ne l’ouvrir qu’avec parcimonie, afin de conserver le caractère rare et précieux du trésor vermeil qui ruisselle à l’intérieur. Mais même s’il devait couler à tous les robinets du château, il y a fort à parier que beaucoup tueraient pour en avaler ne seraientce que quelques gouttes ! Ce sera pourtant la deuxième fois que je donne mon sang à Céleste. Elle semble si fragile allongée comme ça dans ce lit… Je ne sais pas si c’est à cause du stress, de la fatigue, ou du récent manque de nourriture, mais elle a un teint blafard et de gros cernes sous les yeux. J’espère qu’elle retrouvera vite des couleurs, car mon but n’est pas de la rendre malade, d’autant plus que j’aime sa vitalité !

J’approche mon poignet de ma bouche et me mords à pleines dents. Je ne ressens pas la moindre douleur et colle mes plaies au-dessus de sa lippe légèrement entrouverte. Mon sang se met à couler entre ses lèvres dont le rose cru, d’une pâle vigueur, se colore d’une nuance plus rougeâtre. La contiguïté de ses lèvres avec ma peau donne à mon corps quelque chose que je n’aurais jamais pensé connaître de toute mon existence surnaturelle : des frissons. Pas des frissons de froid ni d’angoisse, mais d’impatience, d’excitation. N’est-ce pas ironique ? Un vampire qui, durant son éternelle existence, a vu et vécu tout ce que cette terre regorge de bien et de mal, de bonheur comme de malheur, et qui, pourtant, arrive encore à être excité par quelque chose, comme si c’était nouveau. Quel sortilège ma jolie Céleste m’a-t-elle jeté ? Ma perte de contrôle m’agace au plus haut point !

Elle n’est pas là depuis très longtemps, mais son parfum imprègne déjà la pièce ; l’air, les draps, les coussins et même le matelas… Ce n’est pas désagréable, bien au contraire. Céleste exhale une délicieuse odeur fruitée mêlée à celle de son sang. Le seul bémol c’est que ce mélange de senteurs va finir par me rendre fou. Cette subtile combinaison enchante bien trop mes narines pour être ignorée plus longtemps, je perdrai la tête à peu près comme elle a perdu l’appétit, car cela fait plusieurs jours qu’elle n’a rien mangé, sauf que l’extase m’inciterait, moi, à me repaître dans le sang et la violence. Mais, pour en revenir à elle, elle semble avoir perdu un peu de poids, ce qui m’inquiète.

— Mike.

Celui-ci monte la garde devant la porte. Grâce à son ouïe surnaturelle, il entend mon appel.

— Oui, mon Maître ? répond-il en entrant dans la chambre.

— Demande à Léna qu’elle prépare de quoi manger pour Céleste.

Une petite lueur malicieuse passe dans les yeux de Mike quand je lui parle de Léna.

— Bien.

— Aussi, écoute-moi bien : qu’elle trouve des vêtements et, toi, dégotte-lui un nécessaire de toilette.

— Je vais aller en ville avec elle, ce sera plus simple. Là-bas on achètera directement des vêtements et de la nourriture.

Il semble assez excité à l’idée d’aller en ville avec elle ; brave Mike, si cette escapade peut lui permettre de prendre du bon temps… On n’a jamais fini de joindre l’utile à l’agréable, d’autant que je ne doute pas qu’il ait largement les compétences nécessaires pour mener à bien cette mission.

— Très bien. Pour la taille de ses habits, base-toi sur les anciens vêtements qu’elle avait en arrivant ici.

— D’accord.

— Tu peux disposer. Et sans ajouter un mot, il sort.