Chapitre 29

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Dante


Il faut que je me la sorte de la tête ne serait-ce que pour pouvoir travailler un moment. Cette fille fait de moi un psychopathe dont elle est la seule obsession. Pour ne rien arranger, j’ai encore son odeur sur moi. Elle sent la vanille et le caramel, un parfum si anodin, des senteurs si enfantines qui, en se mêlant à l’arôme de sa présence, prennent à mes yeux l’odeur et la forme du fruit défendu. J’ai adoré la présence de son corps sous le mien, la douceur de sa peau contre mes lèvres, la chaleur de son corps, les battements irréguliers de son cœur. Elle m’embrasse comme personne auparavant, et ceci avec un naturel déconcertant.

Je crois que je n’ai jamais autant détesté une personne que celle de Mike lorsqu’il nous a interrompus. Quel idiot ! Je me vengerai probablement de lui quand il passera un bon moment avec Léna. Je ne suis pas dupe de l’attirance entre ces deux-là,
Céleste non plus ; mais si je dois la découverte de ce secret au fait que je suis les yeux et les oreilles de ce château ; elle, elle le doit à sa seule perspicacité. Elle me flatte par l’intérêt dont elle entoure le récit de ma vie d’immortel, tout autant qu’elle me flatte par la curiosité qu’elle témoigne également envers ceux de mon espèce. Son attrait pour moi est purement désintéressé, et je dois dire que cela me touche encore plus du fait que ce soit une humaine, qu’elle soit mortelle et moi immortel, et que ma puissance aussi bien que mon rang social nous opposent. De plus, à aucun moment elle n’a montré de signe de peur. Son regard débordait d’étonnement, de questionnement, parfois même d’admiration. À cet instant, on aurait presque cru que nous discutions d’égal à égal, comme deux individus partageant le même rapport à la vie. Ce qui est impossible ! Mais, bon sang, que c’était agréable de pouvoir parler si librement.

Il fut un temps, j’étais à la fidélité ce que l’aiguille est au ballon de baudruche. Je claquais entre les doigts de toutes mes conquêtes, pourvu qu’elles se soient un peu attachées à moi. Depuis Céleste, je ne veux plus batifoler, enchaîner les relations, entretenir plusieurs maîtresses en même temps. Ça ne m’intéresse plus. Céleste me suffit.

Tout à coup, on frappe à la porte et Tristan entre.

— Je pouvais entrer ?

— Maintenant que tu es là, l’accueille-je en faisant un signe de menton devant mon bureau.

— Il y a une lettre pour toi. Un messager est venu me la remettre de la part du clan Boyle, en m’expliquant que tout le monde était mobilisé chez lui en ce moment pour préparer la fête d’anniversaire de leur chef. Ça a l’air d’un faire-part d’invitation, tiens, m’annonce-t-il en me tendant l’enveloppe.
J’ouvre le cachet de cire marqué du sceau du clan Boyle et me mets à lire :

« Mon cher Roi,
Vous et votre suite êtes chaleureusement conviés à la célébration de mon millième anniversaire, à l’occasion d’un grand bal qui aura lieu dans sept jours exactement, à la nouvelle lune, sur les terres de mon humble château. Les réjouissances débuteront au crépuscule et se prolongeront à l’aube… Comme le veut la tradition, j’espère avoir le privilège de vous y recevoir en compagnie de la cavalière de votre choix. Votre dévoué serviteur,
Gregory. »

Alors, comme ça, il fête ses mille ans ? J’apprécie Gregory, c’est un bon chef. Il est généreux, juste et humble. Il a acquis sa notoriété par lui-même contrairement à bon nombre d’autres chefs, qui envoient toujours leurs sbires au feu à leur place et récoltent les honneurs. Lui, au moins, n’essaye pas de me marier à sa fille pour le pouvoir ; certes, ça ne risque pas d’arriver, puisqu’il n’en a pas, mais tout de même ce n’est pas son genre. D’ailleurs, je songe que, tout comme moi, Gregory réussit l’exploit de ne toujours pas avoir de progéniture après un millénaire d’existence ; on le dit cependant célibataire dans l’âme, ce qui n’est pas mon cas ; on pousse même la légende jusqu’à raconter qu’il aurait vécu seul et sans enfant durant sa vie humaine ; mais même si c’était vrai, je ne verrais là qu’une confirmation de la constance de caractère qui le distingue. La faute à cette solitude, peut-être, dont il aime s’entourer : ce n’est pas quelqu’un dont je me sens très proche, mais il m’est cher pour ce qu’il est, je le trouve sympathique. Jamais, malgré tout, il n’a montré de volonté de dissidence et j’ai le plaisir de constater à chaque fois qu’il s’adresse à moi, même à présent qu’il m’a rejoint dans le club fermé des vampires millénaires, combien il me respecte.

Cependant, je m’attarde sur la mention « cavalière » dans cette lettre, qui a particulièrement retenu mon attention. Je sais déjà qui va m’accompagner. C’est Céleste que je veux à mon bras lors de ce bal, seulement je crains qu’elle soit cernée de vampires. Si je pars du principe qu’elle ne risque rien en ma présence, il faudra que je ne la lâche jamais d’une semelle, ce qui me plaît déjà rien que d’y penser, mais c’est sans compter sur le fait qu’elle est incontrôlable ! Quoi qu’elle dise, j’empêcherai tous dangers de l’approcher. De toute manière, je paraîtrai à ce bal avec elle à mon bras, ou je n’irai pas.

— Tristan, va chercher Céleste s’il te plaît.

Il sourit. Ce doit être une évidence pour lui aussi, car il me lance un regard entendu avant de s’éclipser. Maintenant que je suis seul, j’espère secrètement qu’elle va accepter.

Envoûte-moi ...Où les histoires vivent. Découvrez maintenant