Chapitre 21

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Céleste ? Que se passe-t-il ? Cassidy était une fois de plus en train de se croire tout permis, lorsque Tristan est entré dans la pièce. Elle commence sérieusement à me taper sur les nerfs. Je vais finir par la bannir ou la tuer, elle ne m’est plus d’aucune utilité et, pire, ne cesse de me désobéir.

Mais, pour l’instant, le cas Céleste me préoccupe bien davantage. Depuis que je l’ai enfermée, je me sens affreusement mal et je suis sans arrêt pris de remords, ce qui ne m’arrive jamais en principe. À mesure que les jours passent, je me rends compte que je me suis peut-être montré trop dur et trop violent avec elle. J’aurais dû la croire, lui faire confiance, car après quelques recherches, j’ai découvert que sa mère était une humaine tout à fait normale. Et qui, hélas – je ne sais pas s’il faut considérer cela comme une ironie du sort – a été emportée il y a quelques années par une leucémie. Cette maladie du sang, d’après ce que j’ai pu apprendre de mes recherches, l’a laissée sans famille, puisque je n’ai absolument rien trouvé sur son père, ce qui laisse planer tout de même une zone d’ombre et de mystère sur son histoire.

Résultat, j’ai chargé quelques-uns de mes hommes de mener une enquête. Cette dernière est à présent en cours, mais s’il s’avère que son père était un monsieur tout le monde, comme on est en droit de s’y attendre, alors cela veut dire que Céleste est un être purement exceptionnel ! Ce caractère rare et merveilleux accroît mon désir de la protéger, dorénavant. Pourtant, ce que j’ai fait il y a cinq jours ne correspond pas du tout à cet élan de protection...

— Parle, dis-je d’une voix spectrale.

— Je voudrais te parler seul à seul.

Ah oui, Cassidy... Je l’avais déjà oubliée celle-là ! En effet, elle est de trop. Je lui ai déjà demandé de sortir alors je ne comprends pas pourquoi elle est encore là.

— Sors.

Elle me regarde sans bouger. Elle ne m’obéit pas !

— Sors maintenant ou c’est moi qui me charge de te faire sortir !

Après un regard noir à Tristan elle sort en trombe en claquant la porte. Son attitude dépasse vraiment le seuil de ma tolérance. Je me laisse tomber dans le fauteuil derrière mon bureau en serrant les poings. Cassidy ne sait plus où sont ses limites avec moi, sous prétexte qu’elle est là depuis un peu plus longtemps que mes anciennes maîtresses. Il va falloir que je m’en débarrasse avant que sa présence ici ne devienne un réel problème. Même si je suis respecté de tous, je ne voudrais pas que son attitude soulève un mouvement insurrectionnel.

— Parle, Tristan.

— Eh bien, c’est assez étrange…

— Comment ça ?

— Je… Je crois qu’elle se laisse mourir.

Mourir ? Ma Céleste ? Celle que je connais est si forte, si combative ! J’avais presque oublié dans quelles conditions de détention elle évolue depuis cinq jours ! À présent, cette pensée m’est insupportable ! En l’emmenant ici, même si c’était de force, je voulais la protéger et la rendre heureuse. En la jetant en prison, je devine qu’une partie de moi voulait la mettre à l’abri de mes instincts, car je ne me contrôle plus en sa présence. C’est étrange à comprendre, j’imagine.

Impardonnable. Je ne sais pas, au juste, de quoi je voulais la protéger. Je ne sais pour quelle raison j’ai agi ainsi, mais mon instinct protecteur s’éveille à chaque fois qu’elle fait une apparition quelque part. Je désire de toutes mes forces qu’aucun mal ne puisse l’atteindre. Mais, hélas ! À vouloir me faire passer pour son ange gardien, je suis en train de devenir le démon qui la détruit de l’intérieur, peut-être est-ce même trop tard, peut-être l’ai-je même irrémédiablement brisée – puisque l’on me rapporte qu’elle veut se laisser mourir !

— Depuis cinq jours, elle n’a pas bougé d’un pouce et c’est à peine si elle se permet de respirer, poursuit mon serviteur. Elle dort énormément, pour ne pas dire tout le temps, à croire que ça lui fait du bien. Et, enfin… comment dire... ?

Il s’arrête, probablement soucieux de l’effet que produiront sur moi ces paroles.

— Dis-moi.

— Depuis qu’elle est enfermée, c’est-à-dire cinq jours, elle ne mange rien du tout et n’a pas bu davantage.

— D’où sa faiblesse ! m’emporté-je.

Misérable, pourquoi tu ne m’en as pas parlé avant !

— On pensait que ça lui passerait, et qu’elle finirait par se nourrir à nouveau une fois que l’ennui, la souffrance et la solitude l’auraient résignée à accepter son sort.

Nom de Dieu, Céleste ! Que te passe-t-il par la tête ? Pourquoi m’en étonné-je ? Une fière et brave fille comme toi ! Tout est ma faute. Céleste meurt de mon égoïsme, mais je ne peux pas la laisser m’échapper. J’ai besoin d’elle, de sa force de caractère, de sa douceur, de sa gentillesse. Céleste – ô ce prénom ! – il agit sur moi comme un colorant : elle déteint. C’est dans le ressort de la bonté et de la bienveillance qui la caractérisent que je trouve la force de réagir.

— Tristan, surveille Cassidy. Elle est tellement en colère, sa blessure d’égo est si profonde, qu’elle pourrait tenter de s’en prendre à Céleste, faute d’être capable de s’en prendre à moi.

— OK !

— Je te fais confiance, ne me déçois pas.

— T’ai-je un jour déçu ?

— Non, dis-je avec un sourire nostalgique.

— Eh bien, tu as ta garantie.

Je le saisis par l’épaule :

— Merci, mon ami.

Je franchis la porte de mon bureau et lance :

— Je me rends au cachot.

Grâce à ma vitesse vampirique, il ne m’est pas difficile de joindre immédiatement l’acte à la parole. À peine quitté-je Tristan que j’arrive devant les grilles d’entrée du cachot. Je m’aventure dans les longs dédales sombres, mal éclairés par endroits, par de faibles torches impuissantes à dissiper les ténèbres qui envahissent le lieu. Mais il n’y a que mon humeur que cette ambiance chagrine ; ma vue, elle, ne s’en trouve pas altérée car nous, vampires, possédons la faculté d’avancer à l’aveugle dans le noir, telles la chauve-souris ou la taupe, figures animales auxquelles les légendes aiment à nous comparer. Aussi, tout est crasseux ici, et l’air tellement humide à cause du manque d’aération, que par endroits quelques champignons se développent. C’est fou et remarquable à la fois, cette façon dont la fragile nature peut s’imposer partout où on lui en laisse l’espace et le temps. Malgré toutes les pierres qu’il y a dans ces cahots, la vie a trouvé un moyen de faire son trou, même jusqu’au cœur de ce chaos profond.
Je stoppe mon avancée devant une porte de cellule. Elle est là.

Je peux la voir par le judas. Elle semble si fragile. Sa peau est passée d’un joli blanc porcelaine à un blanc cadavérique. Malgré le fait qu’elle n’arrête pas de dormir, d’épais cernes noirs bordent ses yeux. Elle semble avoir perdu quelques kilos. Ses lèvres, naturellement d’une grande douceur, sont gercées à cause de la déshydratation. Quant à ses battements de cœur, je les entends à peine. Ils sont moins réguliers qu’à la normale. Son corps est sur pause. Il n’a ingurgité aucun aliment et montre des signes de détresse. Même le battement ralenti de son cœur semble maintenant l’épuiser.

Je sors de la poche mon trousseau de clés sans plus attendre, introduis fermement le passe-partout dans la serrure ; la gâche cède, le pêne s’ébranle. J’entre.

Envoûte-moi ...Où les histoires vivent. Découvrez maintenant