Go-R-an

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— Mel ? On est vraiment obligées de porter ça ?

— Ma jolie, tant que ton p'tit cul travaillera dans mon bar, tu porteras le maillot des Bears les soirs de match.

Décidément, un vent de rébellion souffle sur Chicago, aujourd'hui ! Summer au Able Market ce matin, et maintenant Hana, la sulfureuse portoricaine, jamais en reste pour se faire remarquer. Cette fille dispose d'un physique plus qu'avantageux qu'elle n'hésite pas à mettre en avant. En même temps, c'est un peu le jeu ici. Elle a tous les attributs de la belle latina : une chevelure brune digne d'une pub pour shampoing, une peau lisse et mate qui ne lui vaut pas d'être harcelée pour savoir si elle est malade - elle - , et des yeux noirs aussi intenses que prometteurs sur le tempérament qui l'habite. Evidement, Miss Latina est pulpeuse et sensuelle au possible. Si j'étais du genre jaloux, je la traiterais très facilement de « pétasse ». Mais je n'ai qu'une chose à dire : « Pétasse ! »

Non, en vrai je m'en contre fiche de cette fille et de son physique de bombasse, parce qu'il suffit de passer ne serait-ce que dix minutes avec elle pour voir sa côte de beauté baisser en flèche, proportionnellement à sa jauge d'intelligence. Aux recommandations de Mel sur le fait de glousser devant les clients, je vous assure que Hana n'a pas à se forcer ! C'est ça. Hana est une glousseuse professionnelle, mais plutôt du genre vocation ou inné. En gros, je la trouve bête au possible.

Je sais, je tiens là le style de discours des Moches : « La beauté, c'est ce qu'il y a l'intérieur, pas à l'extérieur, bla-bla-bla... ». Pour autant, je ne me considère pas comme étant moche. Non, je sais que quelque part, j'ai une forme de beauté dite conventionnelle ou ordinaire, mais ma foi, je n'ai pas à me plaindre. Alors oui, je ne mesure pas un mètre soixante quinze comme Hana et je n'ai pas les mensurations de Miss Chicago. Mais jusqu'à présent, mes formes, même si elles ne sont pas dignes d'une Betty Boop, et mon mètre soixante-sept ont eu leur succès. Je n'ai pas un palmarès d'élite, mais j'ai à mon actif un certain nombre de conquêtes masculines. 

Enfin bref. Après avoir offert à la patronne une moue réprobatrice et le regard exaspéré qui va avec, Hana finit par passer le maillot bleu et orange que Mel lui lance.

— Mel ? Tu n'aurais pas deux ou trois tailles en dessous ? insiste la grande brune en pleine crise  identitaire de fashion victime. J'ai l'impression de porter une chemise de nuit, là.

— Deux ou trois tailles en dessous et tes nichons passent à travers, ma jolie. Maintenant, ferme-la et va préparer les tables, conclut Mel le sujet, à la façon... Mel. 

Il est encore tôt, le match n'est diffusé que dans deux heures, mais comme pour chaque soir de match, Mel nous fait venir en avance. La salle doit être préparée comme il se doit, même si je me demande bien pourquoi, car je ne pense pas que la clientèle soit très réceptive à la déco et à tous les détails que Mel s'évertue à mettre en place : Des banderoles à la vaisselle spéciale, aux maillots que nous portons. Mais je sais que le Bears bar bénéficie de sponsors pour ce genre de soirée ; un deal entre publicité faite et fric récolté qui m'échappe. 

De toute façon, ce ne sont pas mes affaires et je ne cherche même pas à batailler. Mel veut que je porte un maillot, je le porte. Elle veut que je mette des serviettes en papier d'une certaine marque de ballon ou des gobelets à l'effigie des Bears, j'obtempère.

Les soirs de match, le bar est blindé, comme beaucoup sur Chicago. Tout le monde n'a pas les moyens ou la chance d'aller au Soldier Field, le stade local. Ce sont souvent les mêmes gars qui viennent ici : des bandes d'étudiants, de copains en after work, des joueurs amateurs... Mais il y a également quelques supporters des équipes adverses. Et là, ce n'est pas triste, surtout si les Bears perdent. Pour le coup, il n'y a plus de différences notables entre les bandes. Ils ne font qu'un pour casser la figure  à ceux dont l'équipe a eu le malheur de gagner. Et évidemment, bye bye la jolie déco !

Goran ( Sous contrat d'édition chez Black Ink Editions)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant