22 mai 2016

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"Entrez et asseyez-vous. Aujourd'hui, vous allez assister à votre première classe. Concentrez-vous, fermez les yeux si nécessaire, et écoutez-moi. Nous allons voguer en direction de votre subconscient."

Il était 8h05, et cela faisait déjà cinq bonnes minutes que j'étais assis au fond de la classe, à écouter mon nouveau prof de philo débiter ce discours à tous les nouveaux élèves qui se massaient autour de la porte. Lorsque les retardataires furent tous présents et assis, le vieil homme fit claquer la porte et reprit son monologue.

"Respirez lentement et fermez les yeux. Oui, fermez les yeux et imaginez-vous un sourire. Un sourire franc et puissant, un sourire charmeur qui pourrait vous désarmer et vous anéantir en une fraction de seconde. Imaginez-vous des lèvres fines ou charnues, rouges ou rosées, c'est à votre guise. Une seule contrainte vous est imposée, les lèvres que vous imaginez et que vous voyez peu à peu se dessiner dans votre esprit doivent être attirantes. Vous devez brûler d'envie de se faire rencontrer vos lèvres et les siennes. Vous devez aimer cette bouche et ce sourire si merveilleux que vous visualisez maintenant très distinctement."

Il reprit son souffle.

"Bien. Gardez toujours ce sourire à l'esprit et imaginez maintenant un regard. Oui, visualisez un regard à la fois intense et doux, des yeux espiègles et rieurs avec une petite lueur de malice se reflétant sur leurs pupilles. Représentez-vous ces yeux et la couleur de leurs iris. Sont-ils bleus, verts, gris, noisette ou chocolat ? A vous d'en décider, mais comme précédemment, gardez à l'esprit que ce regard doit vous envoûter, doit vous faire sentir toute chose. Imaginez ces yeux se poser sur vous, imaginez que ces yeux sont ceux que vous avez toujours voulu voir se poser sur vous."

J'ouvris un œil tentant de ne pas me faire remarquer, tous les élèves dans la salle semblait partis bien loin, comme perdus dans leur pensées. Mais c'est vrai que son foutu truc marchait au vieux, petit à petit, je les imaginais ces grands yeux verts qui me fixaient. Le vieux renifla un peu trop bruyamment et reprit.

"Visualisez maintenant un teint mat et hâlé, une peau pâle comme la neige, ou bien des joues noires comme de l'ébène. Imaginez-vous un nez fin en trompette, des tâches de rousseur, un grain de beauté. Pensez à cette petite chose qui vous ferait craquer."

Je l'aimais bien ce vieux, il parlait comme un gosse de treize ans.

"Et des cheveux, tentez de vous les approprier. Préférez-vous de longues mèches brunes ou bien de courts cheveux blonds ? Frisés, bouclés, raides ou ondulés ? Imaginez-vous passer votre main dans ces cheveux, tentez de ressentir la douceur de cette chevelure sous vos doigts. Ça y est, vous sentez cette caresse vous parcourir de l'intérieur, ce bonheur vous envahir ?"

Il fit quelques pas dans la pièce, et je me rendis compte à cet instant précis que l'une de mes mains s'affairait dans le vide. Elle semblait faire tourner autour de son index une longue mèche brune imaginaire. A ce moment même, je me fis la réflexion que ce nouveau prof était dément.

"Bien, vous possédez la plupart des pièces du puzzle. Ne manque à ceci qu'un corps. Tentez d'en découvrir les moindres parcelles, faites glisser vos doigts sur les courbes. Comment les voyez-vous ? Voluptueuses ? Musclées ? Imaginez-vous un corps frêle ou bien quelque peu enveloppé ? Visualisez-vous entrain de prendre ce corps dans vos bras, de le tenir contre vous. Humez son odeur, son parfum."

Je me sentis renifler l'air de la pièce, mais mon nez ne parvenait plus à sentir l'odeur de la craie. Un tout autre parfum chatouillait mes narines, un parfum doux et enveloppant, chaud et rassurant.

"Vous pouvez rouvrir les yeux, ceci était un test les enfants. Écrivez sur une feuille toutes les caractéristiques de ce fameux ou de cette fameuse inconnue. Ou bien dessinez cet être, si vous le préférez. Vous allez vous rendre compte au fur et à mesure que ce visage et ce corps ne sont pas si inconnus que ça à vos yeux. Il s'agit d'une personne réelle, une personne qui vous a marquée et que vous aimez du plus profond de votre coeur."

Pendant que le prof finissait son discours, je croquais sur un morceau de papier blanc le visage que j'avais toujours en tête. Mon crayon parcourait de lui même la feuille et y dessinait tout ce que j'avais imaginé : un sourire timide et rassurant, des yeux verts pétillants, une peau lisse et bronzée, un grain de beauté sur la joue gauche, des cheveux bruns et ondulés avec de magnifiques reflets dorés au soleil, un corps svelte, des jambes fines, un ventre plat et musclé. C'était elle, elle que je pensais avoir oubliée.

"Alors ?, reprit le vieux. Êtes-vous tombés dans le panneau de ce sentiment si incontrôlable et dangereusement doux ? "

Il soupira.

"Etes-vous tombés dans les mailles du filet ? Êtes-vous tombés dans ce jeu que l'on appelle tous l'amour ?"

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