...a l l e r...

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J'éclate littéralement de rire. En partie contrôlée par le stress, je suppose. L'angoisse accumulée ces dernières secondes m'empêche d'arrêter de rire et je vois Alexandre hausser les sourcils en se demandant ce qu'il a dit de si amusant.

- Désolée.

Ma voix tremble et je m'étouffe dans de véritables spasmes. Puis j'entends Alexandre se mettre à rire lui aussi. Et entendre ce petit son espiègle sortir de sa gorge accroît la folie qui tord mon estomac.
J'ai dépassé le stade du ridicule. Ce n'est plus de l'embarras que je ressens au fond de moi, c'est l'envi de m'enterrer vivante sous une tonne de déchets humains.
Puis, d'un coup sec, je m'arrête de rire.

- Pardonne-moi, j'ai paniqué.

Il est allongé à côté de moi et je sens que son crâne repose sur mes cheveux qu'il tire involontairement. D'une main délicate, il essuie une larme sur le coin de mon oeil gauche.

- Ça ne fait rien.

- Plus trop envie de faire l'amour maintenant, je présume ?

Qui ne tente rien n'a rien. C'est une phrase que je me répète souvent pour justifier un comportement que je ne comprends pas moi-même.
C'est drôle. Depuis que je suis sur le lit d'Alexandre, je n'arrive plus à penser correctement. C'est comme s'il m'avait droguée ou que l'atmosphère de la chambre n'était pas terrestre.

- Dis, t'as mis quelque chose dans mon thé ?

Alexandre me jette un regard oblique, à la fois inquiet et curieux.
Je me sens trop bien pour que ce soit naturel. Je n'ai plus mal, nul part. Je me sens légère, trop légère, beaucoup trop légère.

- Non... Ça ne va pas ?

Je préfère ne pas répondre à cette question. Il suffit que je repense à la semaine passée, à celle qui m'attend et à ma vie en général pour que les sentiments néfastes me reviennent comme un coup-de-poing en plein visage.
À sa question, il y a un grand NON tagué en rouge qui dégouline sur les parois de mon crâne.
Alexandre ne pourrait pas comprendre. Je viens de me souvenir du pourquoi je me retrouve ici. Alexandre est censé être mon remède. Juste le temps d'un week-end. C'est la petite pilule qui remplace les antidépresseurs, les antidouleurs et peut-être même les antibiotiques. La vie est une maladie mortelle et incurable.

- Tu sais pourquoi je m'appelle Nicolas ?

Il secoue lentement la tête comme un enfant sage et, au fond de moi, je lui en suis reconnaissante. C'est un secret que je n'ai jamais révélé à personne. Il n'a rien d'époustouflant, rien de mystérieux, ni rien de grandiose. C'est un petit secret qui illustre une partie floue de ma vie. Une partie que j'ai envie de raconter brièvement à Alexandre.

- Mon père ne voulait pas avoir d'enfant, il avait déjà une fille avec une autre femme... Mais ma mère est tombée enceinte et ces choses-là ne se suppriment pas comme un bouton d'acné sur le front... Elle avait peur de sa réaction. Peur qu'il lui demande d'avorter, encore une fois. Et c'est ce qu'il s'est passé. Sauf qu'au lieu de le faire comme elle le lui avait promis, elle lui a dit qu'elle attendait un garçon... Mon père a probablement apprécié, sur le coup, je pense. Ça n'a pas duré longtemps. On ne change pas un homme en modifiant la réalité à sa guise... Bref, je m'appelle Nicolas parce que ma mère a toujours espéré ne pas être la seule à m'aimer.

Alexandre fronce les sourcils. J'aime quand Alexandre fronce les sourcils. C'est comme si nous nous connaissions depuis longtemps. Sauf que si ça avait été le cas, je n'aurais pas eu besoin de le rencontrer aujourd'hui.

- Tu sais pourquoi je m'appelle Alexandre ?

Je ne peux m'empêcher de sourire. Je n'ai jamais eu l'habitude de parler de moi. J'écoute toujours les autres, si bien que, parfois, je me sens capable d'écrire les biographies de mes amis. Sauf que là, je veux tout savoir d'Alexandre. Je veux savoir pourquoi ses parents ont décidé de l'appeler comme tous les garçons qui m'ont blessé auparavant. Je veux savoir ce qu'il fait dans la vie, celui qu'il était avant, celui qu'il veut être plus tard. Je veux connaître ses rêves, ses secrets, ses fantasmes. Je veux explorer l'intérieur de son corps, voir quelles pierres précieuses il est possible de trouver dans cette caverne sombre qui garde son âme au chaud.

- Alexandre est le prénom du premier amour de ma mère. Mon père ne l'a jamais su et jamais je ne le lui dirais... Je le sais, parce qu'à sa mort j'étais chargé de faire de l'ordre dans ses papiers et je suis tombé sur son vieux journal intime. Il n'y avait que des trucs de filles dedans, des trucs qu'une gamine de quatorze ans écrit dans son journal. Et il y avait cet Alexandre dont elle parlait comme du Saint-Graal... J'ai aussitôt compris pourquoi j'étais son enfant préféré. Pourquoi elle a toujours été fière et admirative de tout ce que je faisais... Ce n'est pas moi qu'elle aimait. C'était le souvenir de son premier amour. Un amour de jeunesse...

Un silence se fait. Je ne saurais décrire ce silence, il ne ressemble en rien à tous les silences qui ont bercé ma vie. Il n'est ni bon, ni mauvais, ce silence.
Il caresse mes cheveux, et je comprends que ce qu'il vient de me dire lui fait autant de mal que ma petite histoire.

Ça Va PasOù les histoires vivent. Découvrez maintenant