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Il se redresse juste assez pour que son regard puisse croiser le mien sans difficultés.

- Donne-moi un nouveau prénom.

Une mèche de cheveux brune tombe sur son front. Il me regarde comme beaucoup de personnes ont l'habitude de me regarder. Comme si je venais de dire une chose particulièrement intéressante mais qu'il n'était pas judicieux d'admettre. Ce que je dis est rarement judicieux. Parce que je parle sans trop réfléchir, même si je suis honnête la plupart du temps. J'ai pour habitude de rapidement trier ce qui me passe par la tête. Une sorte de douane chargée de séparer ce qu'il faut dire et ce qu'il ne faut surtout pas dire, ce qu'il faut suggérer, ce qu'il faut sous-entendre, ce qu'il faut faire suivre d'un "je plaisante". Je parle sans trop réfléchir car si je commence à me poser des questions, je risque de ne plus parler du tout.
Mais l'intérêt qu'il a pour ce que je viens de dire ne s'efface pas de son regard. C'est comme s'il s'y accrochait, un peu comme si je venais de lui proposer une sorte de bouée de sauvetage temporaire.

- Tu veux quel genre de prénom ?

C'est une excellente question. Excellente parce que je n'en connais pas la réponse. Les choix, ce n'est pas pour moi. Je n'ai jamais vraiment réfléchi au genre de prénom que j'aimerais avoir à la place de Nicolas. J'ai rencontré un tas de prénoms dans ma vie. Aucun ne me fait véritablement envie à présent.

- Peu importe. Tant que ça ne te rappelle pas quelqu'un d'autre.

Il semble essayer de trouver une réponse dans mon regard. Mais je sais que mon regard est vide, car à l'intérieur de moi, il n'y a que l'image d'Alexandre en train de me regarder. C'est la chose qui préoccupe mon esprit. J'attends qu'il dise quelque chose comme j'attends que ma vie change du tac au tac. C'est une sensation étrange. Je stresse un peu, j'attends de voir quel prénom va me tomber dessus. J'appréhende parce que je vois un sourire en coin s'élargir sur le visage d'Alexandre.

- Cunégonde.

Il essaie de garder son sérieux, mais mon expression sévère le fait éclater rire.

- Non, oublie. Ça ressemble trop à cunnilingus.

Il se mord la lèvre en hochant la tête.

- Anaïs, c'est joli, Anaïs. Ça me fait penser à des iris.

J'hésite pendant quelques secondes et il m'interroge du regard. Va pour Anaïs. J'ignore si c'est un prénom qui me colle à la peau, mais c'est cent fois mieux que Cunégonde. Et puis, c'est féminin, c'est bien.

- Qui est Anaïs ?

Il hausse les épaules avant de répondre d'un air sérieux :

- Une actrice porno pas terrible.

Je le frappe en me mordant l'intérieur de la joue.

- Je plaisante, je plaisante.

Il ricane comme tout à l'heure et c'est un son qui me fait frissonner.

- Ça m'est venu comme ça, dit-il en gardant un sourire aux lèvres. Je ne connais pas d'Anaïs et, comme je te l'ai dit, ça me fait penser aux iris.

- Tu aimes les iris ?

- J'aime beaucoup les iris.

Il me dévisage d'un air moqueur, ses yeux verts brillants dans l'ombre.
Mon cerveau ne fonctionne toujours pas. C'est mon coeur qui s'en balle à chaque fois qu'Alexandre baisse son regard vers ma poitrine.
Je ne m'y connais pas beaucoup en fleurs. Ma mère en raffole, elle pourrait leur dédier sa vie. Je sais qu'elle n'a pas d'iris sur son balcon et quelque part, ça me rassure. Parce que si Alexandre pense à des iris en me regardant, je penserai toujours à lui en regardant des iris.

- Et moi ? Quel prénom tu me donnes ?

J'ai terriblement envie de lui renvoyer la balle.
Des dizaines de prénoms défilent dans mon crâne. Chacun d'eux me parait pas mal, assez convenable pour un homme aux yeux verts, puis je me dis que rien d'autre ne lui va mieux qu'Alexandre. Mais quelque part, c'est un prénom qui me fait souffrir. Alors je décide de le changer. Tout fera l'affaire. Tout finalement sera mieux qu'Alexandre.

- Archibald. Parce que ça me fait penser à un artichaut.

Il éclate de rire et s'allonge en poussant un cri dégoûté.

- C'est affreux !

- Non, moi, j'aime bien. C'est original. On ne croise pas d'Archibald très souvent.

Il me fusille du regard avec un air faussement sérieux.
Je ne faiblis pas sous ses yeux verts, mais j'accepte de changer d'avis.

- Nathan. Je trouve qu'il n'y a pas assez de Nathan.

Alexandre sourit. Nathan a l'air de lui plaire.

- Qui est Nathan ?

- Un manuel scolaire, je crois.

Il pouffe de rire.
Puis il m'embrasse.

Ça Va PasOù les histoires vivent. Découvrez maintenant