Il sourit. C'est définitivement le sourire le plus beau et le plus effrayant que j'ai vu de ma vie. Beau parce qu'il illumine son visage et possède ce don particulier d'embellir tout ce qui se trouve dans la pièce. Effrayant parce qu'il possède l'étrange capacité de me mettre à l'aise. Comme un morceau de sucre qui fond dans l'eau bouillante.
- Le genre qui a la gueule de bois.
Je suis partisane des rires aigus à la fois gêné et gênant.
Lui a donc une vie sociale, contrairement à moi. Il participe à des fêtes, danse et se saoule d'alcool et de joies éphémères, tandis que moi, je reste cloîtrée le soir dans mon lit à essayer d'inventer des scénarios romanesques pour m'endormir.
Lui doit avoir une vie sexuelle délirante. Lui pourrait peut-être m'enseigner les vices de la vie.- Je vois... Mais du thé à l'hibiscus, tu pourras me dire ce que tu veux, ce n'est pas un parfum choisi au hasard.
J'adore le thé à l'hibiscus. Sur le paquet, il est souvent écrit "parfum fruits rouge" mais quand on regarde la liste des ingrédients, il est clairement précisé qu'il n'y a que de l'hibiscus et pas la moindre trace de fraises, de framboises et autres.
Bref, en plus d'avoir une belle gueule, il a un sacré bon goût.- J'adore le thé à l'hibiscus. Ma mère m'en faisait souvent quand j'étais petit. J'en ai gardé l'habitude.
Quand un homme commence à vous parler de sa vie personnelle, c'est qu'il commence à vous attaquer de l'intérieur, par les sentiments. Quand il commence à parler de son enfance, c'est qu'il souhaite vous noyer dans un océan émotionnel pour mieux vous repêcher.
- Et où est maman à présent ?
- Morte. Depuis un moment.
Son sourire n'est pas sincère. J'aurai dû prévoir la réponse, c'est presque cliché. Il a beau sourire à en faire apparaître des fossettes, ses yeux indiquent clairement qu'il cache ses véritables sentiments.
- On compense le manque affectif en invitant des inconnues à boire ?
Je ne sais pas ce qu'il faut dire dans ces moments-là. Quand on se retrouve face à un homme qui souffle la vapeur dégagée par son thé bouillant. Quand sa main posée sur le comptoir de la cuisine retient son corps et contracte les muscles de son torse. Quand il vous regarde avec désir et provocation et que vous ne pouvez pas vous empêcher de penser à Cinquante nuances de Grey sans rougir.
- En quelque sorte. Mais je t'avoue qu'aucune fille n'est jamais allée chez moi dans l'unique but d'utiliser mes toilettes.
L'image de martinets et de fouets s'efface aussitôt de mon crâne. Il est beaucoup trop jeune et son regard est encore celui d'un homme immature.
- Je suppose qu'aucune d'elle n'était encore mineure, contrairement à moi.
La lueur de désir reste présente dans son regard, mais son sourire diminue.
Qu'est-ce que je fais ici ? Je bois le thé avec un inconnu et je me sens déshabillée du regard comme un vulgaire paquet de chips. Il n'y a pas de quoi être fière.- Tu es mal à l'aise...
- Excellente déduction. Je ne voudrais pas te faire perdre du temps, je bois encore deux gorgées et je m'en vais.
Ses yeux verts ne me quittent pas. Il ne sourit plus, il a l'air triste. Il pose doucement sa tasse sur le comptoir et met les mains dans ses poches.
- Pas de soucis... Je te ramène en moto.
Un mélange d'émotions me saisit. Je ressens d'une part le soulagement qu'il ne se vexe pas et ne se décide pas à me violer, ce qui est une chose très rassurante. D'autre part, c'est moi qui suis vexée. Je me déçois. Même si cette petite escapade à le mérite d'avoir bouleversé mon week-end, elle n'est pas allé jusqu'à bouleverser ma vie - ce qui, en un sens, est absolument normal. Il faut être naïf et profondément stupide pour se laisser croire qu'une nuit avec un bel inconnu peut changer une vie.
Se laisser croire.
Je n'aurais pas su mieux le dire. Je ne me laisse jamais croire quoi que ce soit. Je ne me laisse jamais mordre la vie, mordre la chair du hasard. Je ne me laisse rien faire.- T'as quel âge ?
Je pose la question comme si cela peut changer quelque chose.
- Dix-neuf ans.
Oh... Ça change un peu les choses.
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Ça Va Pas
ContoJ'ai failli m'étouffer avec une madeleine. Et puis, je commence à ne plus avoir envie de vivre. Bref. Ça (ne) va pas.