...t u...

678 186 30
                                    

Certaines choses sont importantes à savoir chez les autres. Il est important de savoir, par exemple, les allergies de nos proches au cas où il nous prendrait l'envie de leur cuisiner un plat. Il est, par ailleurs, important de savoir si une personne à la gastro au cas où nous serions envahis par l'envie de la serrer dans nos bras.
Mais quand je regarde Alexandre, je me fiche de connaître sa couleur préférée, le mot de passe de son ordinateur, sa moyenne au bac, le nom de son premier animal de compagnie, et tout le reste... Je m'en fiche parce que j'ai l'impression de connaître l'essentiel.
Il va mal. Il sourit quand même. Il n'est pas suicidaire, pas dépressif et l'état de son corps laisse amplement suggérer qu'il n'a jamais pensé à la mutilation. Ce qui est une excellente chose. Alexandre rêve, il attend avec impatience de se prendre un poteau en pleine figure dans la rue et moi aussi. Tout de suite, je me sens moins seule. C'est comme lire un bon roman et se dire : Mince, c'est moi !

- Je trouve qu'on a de sacrés bons arguments pour avoir couché ensemble.

Il ricane, passant une main dans ses cheveux avant de poser sa tête dessus.

- On n'a vraiment pas de quoi culpabiliser, dit-il en faisant apparaître ses fossettes.

J'adore ses fossettes. Elles sont hypnotisantes. Je n'aurais jamais cru que les fossettes puissent être aussi dangereuses.

- Dis, Nathan...

- Mmh ?

- Comment se fait-il qu'un gamin de dix-neuf ans se retrouve à habiter seul dans un appartement à Paris ?

Son sourire s'efface et est remplacé par une moue hésitante.
La question n'est pas anodine. Vivre seul est un choix que je n'aurais pas fait. J'aime vivre avec ma mère, elle fait partie des remèdes qui me tiennent encore en vie. Sans elle, j'aurais sombré beaucoup plus tôt.

- Quand ma mère est morte, mon père a décidé de se mettre avec une autre femme. Ma soeur est allé habiter à Lyon, elle y fait ses études. Mon frère est parti à Toulouse, il bosse dans je-ne-sais-quoi... Alors j'ai récupéré l'appartement de la nouvelle femme de mon père quand j'ai senti que j'étais de trop.

- Courageux.

Un demi-sourire triste déforme sa bouche.

- Si j'avais eu un meilleur choix, je l'aurais pris. Mais on ne choisit ni sa vie, ni ce qu'on va en faire.

Je vois son visage s'assombrir.
Je suis le genre de fille qui ne supporte pas longtemps la tristesse. J'ai ce système d'autodéfense qui vient éloigner les mauvaises pensées et les remplacer par des images plus joyeuses, des images réconfortantes.

- Mmh... Nathan, le philosophe... Tu sais ce dont j'ai très envie là, maintenant, tout de suite ?

Il sourit.

- Aller aux toilettes ?

Je pouffe de rire.

- Non, j'ai faim.

Il prend quelques secondes pour se rendre compte que lui aussi. Puis on se décide à se rhabiller, dos à dos, chacun de son côté du lit.
Je n'arrive pas à décrocher mon sourire du visage. Je commence à avoir mal aux joues.
Aller chez un inconnu n'est pas une activité que je referai à l'avenir, mais je ne regrette pas d'avoir bousculé mes codes. Ça fait du bien de transgresser ses propres lois.

Il se lève et m'attend pour aller dans la cuisine.

- C'est injuste, je suis une fille, j'ai plus de vêtements que toi.

- J'ai tout mon temps, Anaïs.

Il s'adosse au mur et me regarde remonter la braguette de mon jean. Je sens ses yeux verts scruter le moindre détail de mon anatomie et, pour une fois, je ne ressens aucune gêne. Au contraire, je me sens flattée.

- T'as quoi de bon à manger ? Je n'ai jamais eu aussi faim de toute ma vie.

Arrivée dans la cuisine, l'appartement me paraît différent. Il y a un peu de désordre et j'ai vu meilleure décoration, mais l'atmosphère est chaleureuse et agréable. C'est un petit appartement qui va parfaitement à Alexandre.
Je me penche sur le comptoir et je le laisse ouvrir ses placards. Il cherche quelque chose à grignoter, ne trouve pas, puis finit par ouvrir un tiroir et pousser un petit cri de victoire.
Bref, il me lance un paquet de madeleines.

Ça Va PasOù les histoires vivent. Découvrez maintenant