L'HEURE DE LA VENGEANCE

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Les messages affluent par dizaines. Je ne sais plus où donner de la tête. Les alertes viennent de partout: SMS, e-mails, messages instantanés. Des amis, des connaissances, des inconnus. Tous m'informent que des photos intimes de moi circulent comme un virus de portable en portable et sur les réseaux sociaux. Mon corps se met à trembler. Reste calme. Paniquer ne sert à rien. Je dois voir les clichés en personne pour me rendre compte de l'ampleur du désastre avant de m'apitoyer sur mon sort et d'envisager une réaction. Je demande à Pamela de m'envoyer une copie de ce qu'elle a vu. Sa réponse sonne comme un mauvais présage. «Je ne peux pas Nathalie. C'est trop... c'est trop cru.» Mon pouls s'accélère. Si je ne peux pas les voir, je dois en connaître la source. Pamela est la première à m'avoir informée. Elle doit connaître l'origine de leur publication. «Je les ai reçues via un groupe d'amis basé à New Bell», me signale-t‑elle. New Bell. Le quartier pauvre de Douala où Samuel a grandi. Il y possède logiquement sa base de fans la plus fidèle, la plus dévouée aussi. Je commence à envisager le pire : acculé après l'échec de sa plainte, le footballeur a cherché un moyen alternatif de me nuire. En fouillant dans nos cinq années d'échanges incessants, il a déterré des photos intimes qu'il avait prises lui-même ou que j'avais eu l'imprudence de lui envoyer et les a diffusées à ses soutiens pour qu'ils les propagent à leur tour. J'ai été stupide de penser qu'il s'avouerait vaincu. C'est mal le connaître que d'imaginer qu'il puisse accepter un affront, quel qu'il soit. On ne défie pas le grand Samuel Eto'o. On s'incline. Oul'on paye cher son audace. Cette déduction m'incite à réagir à toute vitesse. J'enfile une veste et file chez mon avocat en courant. Je lui déballe le peu d'informations en ma possession. Il m'indique qu'il va se pencher sur une riposte sans trop savoir où il met les pieds. Sur le chemin du retour, quelques imprudents ont cru bon de me faire suivre les clichés en question. Je suis chez moi lorsque je trouve le courage d'ouvrir les fichiers joints à leurs messages d'alerte. Le choc est d'une violence inouïe. Je manque de m'effondrer. Il n'y a aucune place pour l'imagination. Tout est là. Mon corps nu, dans les postures les plus dégradantes, et jusque dans les moindres détails. L'une d'elle me montre en plein ébat avec un homme que je reconnais comme étant Sonor. Une autre est un selfie pris devant un miroir dans le plus simple appareil. Une autre encore, sans doute la plus choquante, me présente en train de me masturber les quatre fers en l'air. Ce n'est pas juste de la nudité: ce sont des instantanés de ma vie sexuelle jetés en pâture au public. Bravo. Ça y est. Il a gagné. Samuel m'a tuée. Son geste n'est pas une simple revanche, aussi cynique et perverse soit-elle : c'est un assassinat social. Je ne souhaiterais pas pareille infamie à mon pire ennemi. Il n'a pas hésité à l'infliger à celle qui l'a tant aimé. Je crie, je pleure, dans un déluge de rage et de haine mêlées. C'est trop. C'est insupportable. C'est irréversible. Je m'écroule, inconsciente, terrassée par le choc. Fabrice, qui avait lui aussi été destinataire des clichés et avait entendu mes hurlements depuis sa chambre, me découvre au sol, inanimée, et appelle les secours. Quelques minutes plus tard, pompiers et Samu font irruption dans le salon, et me placent sous perfusion avant de m'évacuer d'urgence vers l'hôpital. Je me réveille tuyautée de partout. Les médecins expliquent m'avoir injecté du glucose pour me remettre sur pieds. En me rappelant la raison de mon état et de ma présence ici, ma crise de larmes repart de plus belle et paraît ne plus devoir cesser. Me voirainsiofferteàlafacedu monde n'est pas le pire. C'est lorsque je pense à mes frères, homme que je reconnais comme étant Sonor. Une autre est un selfie pris devant un miroir dans le plus simple appareil. Une autre encore, sans doute la plus choquante, me présente en train de me masturber les quatre fers en l'air. Ce n'est pas juste de la nudité: ce sont des instantanés de ma vie sexuelle jetés en pâture au public. Bravo. Ça y est. Il a gagné. Samuel m'a tuée. Son geste n'est pas une simple revanche, aussi cynique et perverse soit-elle : c'est un assassinat social. Je ne souhaiterais pas pareille infamie à mon pire ennemi. Il n'a pas hésité à l'infliger à celle qui l'a tant aimé. Je crie, je pleure, dans un déluge de rage et de haine mêlées. C'est trop. C'est insupportable. C'est irréversible. Je m'écroule, inconsciente, terrassée par le choc. Fabrice, qui avait lui aussi été destinataire des clichés et avait entendu mes hurlements depuis sa chambre, me découvre au sol, inanimée, et appelle les secours. Quelques minutes plus tard, pompiers et Samu font irruption dans le salon, et me placent sous perfusion avant de m'évacuer d'urgence vers l'hôpital. Je me réveille tuyautée de partout. Les médecins expliquent m'avoir injecté du glucose pour me remettre sur pieds. En me rappelant la raison de mon état et de ma présence ici, ma crise de larmes repart de plus belle et paraît ne plus devoir cesser. Me voirainsiofferteàlafacedu monde n'est pas le pire. C'est lorsque je pense à mes frères, abusive. Les journaux locaux présentaient alors l'histoire de ma détention sous un jour qui m'était favorable, racontant les déboires de la maîtresse de Samuel Eto'ofaceau courroux du footballeur. A contrario, ceux qui s'étaient intéressés à ces articles voyaient dans l'apparition de ces clichés la preuve que la superstar avait été manipulée par une fille de mauvaise vie. Je n'étais plus une victime, mais un bourreau. Aucun de ces esprits brillants ne s'imaginaient que Samuel pouvait être à l'origine de leur diffusion afin, justement, de retourner l'histoire à son avantage. Comme souvent sur Internet, le monstre échappe rapidement à son créateur. Les faux profils utilisant les photos à des fins de détournement fleurissent. «L'inconnu de la photo» finit même par être assimilé à un ministre en exercice, ce qui donne à l'affaire une ampleur nationale! D'autres tout aussi inspirés créent de faux profils avec mon vrai nom, sur lesquels mon double usurpé se vante de tout faire pour détruire la carrière en déclin du footballeur. Les insultes redoublent d'intensité. Je veux parler, expliquer, démentir. Je veux surtout que l'opinion se pose enfin la question qu'elle devrait se poser depuis le premier jour: exception faite des selfies, qui a pris ces photos? La réponse coule de source: une troisième personne présente au moment de la prise mais qu'on ne voit bien sûr pas à l'image. Ne pourrait-il pas s'agir de Samuel? Je bousintérieurement, prête à convoquer une conférence de presse mondiale s'il le faut. Malgré ma détermination, mon avocat m'incite à rester silencieuse. Il souhaite que je réserve mes déclarations à la justice pour ne pas mettre en péril la procédure que nous pourrions lancer. Afin d'éviter que la situation ne dégénère davantage, mon conseil consent à ce que je réponde à une seule et unique interview radiophonique. J'y livre quelques repères de mon histoire dans les limites fixées par la loi: ma relation avec Samuel, nos partouzes, mes tentatives de rupture, le chantage des photos de Fally, mon refus d'y céder et la riposte par mes clichés intimes diffusés sur le web que j'attribue évidemment à Samuel. Pour convaincre mes interlocuteurs, j'insiste sur la présence évidente d'un «troisième homme», et je mets en avant le préjudice inestimable que me causent ces clichés par rapport au prétendu bénéfice que je suis supposée pouvoir en tirer. Mon intervention, suivie par le pays tout entier, produit l'effet escompté. L'opinion, qui faisait bloc contre moi, se divise. La plupart des journaux et sites web d'actu relaient mes arguments en soulignant leur pertinence. D'autres, le plus souvent dédiés au sport, continuent invariablement de soutenir Samuel en criant au complot. D'autres encore, plutôt conservateurs, s'offusquent qu'une jeune fille se vante en public de participer à des parties fines, sans savoir qu'il ne s'agissait pas pour moi d'un choix assumé et réfléchi mais d'un geste d'amour pour mon homme. La société camerounaise, patriarcale, voit encore assez largement d'un mauvais œil qu'une femme ose revendiquer sa liberté sur le plan sexuel. Sans surprise, les amis de Samuel se frottent les mains et m'inondent de messages revanchards du type : «Tu as voulu jouer dans la cour des grands, tu t'es cassé la gueule». Moins attendue, la réaction des femmes sur les réseaux sociaux est sans doute celle qui me déçoit le plus. Les commentaires sont pour la plupart très négatifs, raillant ici ma légèreté, là ma soumission aveugle aux fantasmes excentriques d'Eto'o. Heureusement, je peux aussi compter sur quelques soutiens. Des anonymes d'abord, qui me croisent, me reconnaissent dans la rue et livrent des messages d'encouragement spontanés. Des lettres et des appels ensuite, de personnes de mon entourage lointain ou d'anciennes connaissances choquées par le traitement qui m'est réservé. Fally, dont le nom est apparu à la faveur de quelques articles malveillants, me contacte lui aussi. Je lui raconte tout, de la rupture orageuse aux photos de lui que Samuel m'avait commandées. Il ne se montre pas plus étonné que ça: on lui a rapporté qu'une autre maîtresse camerounaise du footballeur s'était vu confier la même mission quelques mois plus tôt. Comme à son habitude, il n'a pas un mot plus haut que l'autre envers Samuel. Son détachement et sa hauteur d'esprit m'impressionnent. Face à l'épreuve que je traverse, il se montre compatissant, et m'apporte un soutien réel mais discret: sa stature de personnalité publique aurait tôt fait de relancer la machine à fantasmes autour de monpersonnage. Dans ce flot de coups de fil ininterrompu, je reçois l'appel inattendu d'une personnalité camerounaise de très haut rang, dont je préfère taire le nom. Mon petit frère et moi l'appelons «qui tu sais». Cette figure de la vie publique du pays tient à m'assurer en personne de sa profonde sympathie. «Peu importe ce que vous avez fait. Je réagis en tant que mari et père, et je ne souhaite à personne de vivre ce qui vous arrive. Mais soyez courageuse. J'ai lu dans la presse que vous aviez fait un séjour à l'hôpital et que vous aviez songé à en finir. Ne baissez pas les bras.» La bienveillance de «qui tu sais» va plus loin. Il me parle des possibilités de contre-attaques judiciaires, et m'incite à déposer plainte sans plus attendre. Il finit son appel en me demandant quel serait mon vœu le plus cher pour tenter d'oublier l'épreuve que je traverse. Ma réponse est simple: je ne peux plus regarder mes compatriotes dans les yeux sans me dire qu'ils m'ont vue dans le plus simple appareil. Je veux partir quelques jours loin du Cameroun pour pouvoir me balader dans la rue l'esprit en paix. Mon bon samaritain exauce mon souhait, et m'envoie l'équivalent de 30 000 euros pour m'offrir le voyage de mes rêves. Je me pince pour y croire. Je choisis de partir pour un long périple qui me mène à Miami, Washington et Mykonos. Cette thérapie est un succès et me coupe du marasme cybernétiquedanslequeljemenoyais.Aujourd'hui encore, j'ignore les motivations profondes de cette incroyable générosité, mais je conserverai une dette envers cet homme jusqu'à la fin de mes jours. Ma réplique médiatique enclenchée et mes batteries rechargées, mes choix sont limités: me morfondre ou faire front. Passé le choc des premiers temps, la deuxième option a mes faveurs, d'autant que le buzz hors norme engendré par l'affaire a fini par attirer l'attention de la délégation générale de la sûreté nationale. L'institution, au-dessus de tout soupçon, est l'équivalent camerounais de la direction générale de la police nationale française. Le délégué en personne me convoque un matin pour recueillir ma version de cette curieuse histoire qui commence à agiter le landernau de la politique. Cet homme assez âgé m'inspire tout de suite confiance. J'exhume à cette occasion et pour la première fois mes enregistrements clandestins. Après les avoir entendus, il m'invite à rédiger une plainte nominative contre Samuel Eto'o. Je m'exécute avec un bonheur et une sérénité que je n'avais pas éprouvés depuis longtemps. Cette fois, je me sens écoutée, et j'ai le sentiment que les choses vont enfin bouger. L'enquête est confiée à un inspecteur qui convoque Samuel à son retour du mondial pour une confrontation. Le joueur fait faux bond, prétextant des réunions de débriefing sur le naufrage de la sélection nationale. Il en sera de même quelques jours plus tard à la deuxième tentative. La procédure exige alors qu'un mandat d'amener soit rédigé par le procureur. Le lendemain, Samuel quitte le Cameroun en rejoignant l'aéroport de Douala en taxi banalisé. Il n'y reviendra qu'un an plus tard, en juin 2015. Entre-temps, sa plainte initiale, celle qui m'avait valu mes trois jours de garde à vue, avait été classée sans suite faute d'éléments. Ma plainte auprès du délégué, elle, piétinait. Son retour au pays a relancé nos poursuites judiciaires respectives par la voie de citations directes croisées envoyées via nos avocats, pour escroquerie concernant la procédure qui me vise, et pour menaces, chantage, et déclaration mensongère pour celle qui cible Samuel. Les deux restent aujourd'hui en cours. J'ai, pour ma part, tenu à porter plainte également à Paris, comme la législation française le permet pour les délits commis sur Internet, en m'attachant les services d'un avocat pénaliste de haut rang, Me Thibault de Montbrial, célèbre pour avoir notamment défendu les intérêts de Nafissatou Diallo en France dans le combat judiciaire qui l'opposait à Dominique Strauss-Kahn. Aujourd'hui, si toutes les blessures ne sont pas refermées, j'ai quasiment repris une vie normale. J'ai récemment quitté mon emploi d'hôtesse d'accueil pour me consacrer à ma marque de lingerie sexy, Psychee by NK, lancée au Cameroun à l'été 2015. Je m'y investis à temps plein, m'occupant des modèles depuis le design jusqu'à la fabrication en passant par le marketing. J'ai aussi consenti à ouvrir une page Facebook officielle pour mettre un terme aux nombreuses usurpations qui fleurissaient ici et là. J'y poste principalement l'actualité de Psychee by NK, et quelques photos personnelles prises lors de mes voyages ou instants de loisirs. J'y suis soucieuse de ma vie privée, comme je l'étais pendant ma relation avec Samuel. Plus d'un an après la fin de ma liaison avec Samuel Eto'o et son épilogue qui a bouleversé mon existence à tout jamais, je ne ressens plus de haine vis‑à-vis de l'homme avec qui j'ai partagé plus de six années de ma vie. De notre histoire, je préfère retenir l'affection profonde et sincère, l'immense complicité, et les fous rires interminables. Je ne lui veux sincèrement aucun mal. Ce témoignage n'est pas celui d'une femme voulant se venger de l'homme qui l'a tant blessée. C'est une mise au point finale de l'actrice principale d'un feuilleton fait d'amour, de sexe et d'argent, qui a secoué le football africain et mondial, et qui mérite désormais de se terminer. C'est aussi un appel aux femmes, en Afrique et ailleurs, à ne plus se laisser marcher sur les pieds, et à puiser le courage nécessaire pour faire face aux hommes puissants qui, un jour peut-être, tenteront de leur faire croire que la loi ne s'applique qu'aux faibles. Ils ont tort.




Finnnnnnnnnnn
Regardez en bas....



Nathalie Koah, décembre 2015

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Nathalie Koah, décembre 2015

REVENGE PORN.         Foot, sexe, argent: mon témoignage ex de Samuel Eto'oOù les histoires vivent. Découvrez maintenant