Le moment m'échappe. Il se faufile entre mes doigts comme si je ne pouvais plus rien maîtriser. À peine ai-je le temps de respirer que la transition opère. Une masse fantôme libère définitivement mon organisme, me laissant engourdie.La chambre est austère, monacale. Une couche étroite, des draps rêches. Je suis allongée. Je me lève précipitamment et me libère des bras qui me serraient fort contre ce corps brûlant.
Je suffoque. Regarde mes pieds nus, puis la commode usée par le temps, et une autre croix suspendue au mur blanchi à la chaux. L'air est figé, lourd de silence, seulement troublé par la flamme vacillante d'une bougie, dont la lueur projette mon ombre distordue sur les murs. Une chaise et dessus une veste, longue et noire.
Je pivote tout en reculant et mon dos cogne contre le bois du battant rustique. Je reste adossée à la porte, le souffle court, mon cœur cognant contre mes côtes. Il n'est plus possible d'ignorer la présence physique d'Aden dans cette pièce ridicule.
Le grincement de ressort sur la droite et il s'assoie lentement sur le lit, les jambes écartées. Ses doigts viennent effleurer distraitement la couverture, là ou j'étais étendue à ses côtés quelques secondes plus tôt. Son regard se perd dans l'espace, sans ancre, sans histoire. Il semble... vacant. Une toile vierge.
J'ai voulu cela. L'oubli. L'effacement. Je l'ai dépouillé de ses souvenirs, de tout ce qui l'a construit, dans l'espoir d'entrevoir quelque chose d'autre. Le délester de notre passé si monstrueux pour lui, et voir l'homme qu'il serait avec moi si nous n'avions jamais existé.
Je cherche une faille. Une seule... qui pourrait éteindre cette douloureuse déception en moi.
— Tu me regardes, murmure-t-il soudain, sa voix tranchant le silence.
Mon estomac se contracte. Son timbre est le même, grave, posé, aussi insoumis qu'au premier jour. Mais il manque quelque chose. Ce ton cinglant, ce détachement teinté de mépris. Il n'y a plus cette distance glacée. Qu'une douce tiédeur dans cette espace froid.
— Tu ne te souviens de rien ? demandai-je d'une voix faible.
Il tourne lentement la tête vers moi, ses yeux ternes s'accrochent aux miens, je retiens mon souffle. Malgré tout, son regard a gardé cette intensité dérangeante.
— Rien.
Un frisson me parcourt l'échine.
— Même pas de moi ?
Il penche la tête, m'observe comme si je n'étais qu'une inconnue parmi tant d'autres. Je le sens pourtant. Une tension infime se cache sous les apparences. Aden cherche à comprendre, à décoder ce qu'il ressent. Je devine qu'il essaie, qu'il explore. Il ne le montre pas, mais il est en train de se réapproprier ses perception, cette connection avec mes émotions qu'il perçoit sans en saisir l'origine. Il ne doit pas sentir la peur. Je m'oblige à me décontracter, respirant lentement, calmant ainsi les battements diligents sous ma poitrine.
Aden m'a blessée au plus profond de mon être. Je le déteste, et je crois que je n'arrive pas à le cacher.
— C'est toi qui as fait ça, n'est-ce pas ? devine-t-il.
Mon estomac se tord. Je redresse les épaules pour qu'il jauge ma détermination.
— Oui.
Il hoche la tête, lentement, un geste presque contemplatif. Il ne me confronte pas. Il ne cherche pas à récupérer ses souvenirs, ni me supplie de lui dire qui il était. Il accepte le vide avec une sérénité glaçante.
— Pourquoi ?
— Rééquilibrer les choses.
Je reprends la phrase de Thènes comme si cela pouvait justifier tous les actes du monde.
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Mysterious Eyes - En cours de réécriture (Dispo en Broché et Ebook sur Amazon)
Romance⚠️ POUR PUBLIC AVERTI ⚠️ Certaines scènes de cet ouvrage peuvent être choquantes (Sexe, meurtre, torture, viol) Aussi, les références religieuses présentes dans ce texte ne relèvent ni du prosélytisme ni d'une critique ou d'un éloge envers une relig...