Part 0.11 : Rébellion

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ADEN

Généapolis 

25 ans - 8 ans après le baiser



Doucement, je pousse la porte du manoir. Cette maison sent toujours la même odeur de médocs, celle qui me donne la gerbe. Huit ans que je n'ai pas remis les pieds ici et bien plus d'années que j'essaie de gommer de ma mémoire cette cité.

Je suis parti.

J'ai abandonné le passé. J'ai vécu une autre vie. Mais je suis là, à des milliers de kilomètres de chez moi.

Je monte à l'étage d'un pas mécanique et passe devant la chambre de ma mère dont la porte est entrebâillée. J'y jette un coup d'œil malgré moi. Elle gît encore dans son lit sordide telle une vieille poupée de cire qu'on a délaissée. Mon corps tressaille, la respiration me manque. Je dois caler mon épaule contre le chambranle. Si la vie de cette femme ne tenait qu'à un dispositif médical, je l'aurais débranchée sans attendre une seconde de plus. Mais, son mari a préféré l'attacher à son lit. Autant la laisser moisir sous une cloche en verre. Encore aujourd'hui, je ne supporte pas cette pièce et j'ai envie d'y mettre le feu.

Je tremble, preuve que je vais mal. Preuve qu'être revenu est une erreur.

— Mon chéri. Je sais que c'est toi.

Non, tu ne sais plus qui je suis depuis un moment déjà.

Mon souffle faible retient un haut-le-cœur pendant que mes palpitations prennent un rythme déraisonnable.

Tourné vers moi, le visage de ma mère est d'une pâleur cadavérique.

— Viens là.

Je serre les dents. Je ne voulais pas de ça. Je lui ai dit au revoir il y a un paquet d'années. Je ne suis pas rentré dans cette chambre depuis mes dix piges, autant dire que la page est tournée. Cependant, comme attaché par un lien plus solide que la raison, j'avance, le cœur s'émiettant en silence jusqu'à se figer devant ce lit.

— Alors mon beau, où vas-tu, vêtu tout de noir comme ça ?

Ma gorge se noue.

Elle poursuit :

— Tu ne vas pas faire de bêtise, n'est-ce pas ? Je sais reconnaître quand tu vas en faire une.

Ça fait mal... chacun de ses mots.

— Maman...

Ses pupilles se dilatent alors qu'elle tente de sourire. Ses lèvres gercées se fissurent un peu plus et son haleine forte et pestilentielle me rebute instantanément. Sous la gangrène, son corps se meurt. Ses muscles, bons à rien, s'atrophient. Sa peau cartonneuse et insensible noircit. Elle souffre et même la morphine ne lui fait plus d'effet. Handicapée d'émotion, elle ne pleure pas. Ses yeux verts vitreux me fixent sans que je n'y décèle une âme. Ce n'est rien d'autre qu'une personnalité morte. Une enveloppe vide.

— Tu m'as promis, mon magnifique Laurie.

— Je ne m'appelle pas comme ça, grincé-je entre les dents.

Je grogne comme un fauve en rage, car tout me revient. Lorsqu'elle me repoussait alors que je voulais du réconfort. Lorsque j'avais faim et qu'elle ne me donnait rien. Lorsque je cherchais une mère et qu'elle ne voulait pas de moi. Je me souviens m'être endormi à ses pieds comme un chien, et de m'être réveillé par ses coups qu'elle abattait dans mon dos sans relâche. Ouais, je me souviens parfaitement de tout cela.

Les gens ont deux visages, un pour ceux qu'ils aiment et un autre pour ceux qu'ils haïssent.

Sans plus attendre, je dégage l'un de mes sabres, approche la lame affûtée de sa gorge. Elle effleure la veine gonflée de son cou qui palpite à peine.

Mysterious Eyes - En cours de réécriture (Dispo en Broché et Ebook sur Amazon)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant