Part 31 - Indigo

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Mes paupières papillonnent, faisant pénétrer dans mes rétines des brèches de lumière provenant du plafond de feuilles de palmiers. Mes oreilles bourdonnent et j'ai des difficultés à me situer. Je me sens si petite sous ces longs troncs pointant le ciel. J'écoute le chant de la jungle, les sibilations d'oiseaux. Le soleil semble à son zénith. M'aurait-on abandonnée là, recroquevillée sur le côté, près des racines d'un arbre ? Pourquoi ai-je la sensation d'avoir mâché des cailloux tant j'ai mal à la mâchoire ?

Parce que j'ai ri. Comme une tarée. Une folle qui se croyait dans un cauchemar si invraisemblable que c'était risible. C'est ça ?

Ma conversation avec Aden me revient de plein fouet comme un astéroïde en pleine tronche. Une angoisse foudroyante se ravive. Ce salaud a attendu un moment calme pour à nouveau me piétiner l'esprit. J'aurais dû le prévoir, lui et moi, c'est comme deux mondes parallèles en constante confrontation.

C'est si douloureux.

J'attends un enfant. Aden en est le père. Qu'est-ce qui m'a pris de ne pas l'envisager ? Pourquoi ne me suis-je pas protégée ? Pourquoi ne s'est-il pas retiré au moment crucial ? Les chances auraient été plus infimes.

Les Sentynels ne sont-ils pas connus pour être les plus grands reproducteurs ? C'est comme si mon cerveau avait généré lui-même une marge d'erreur, une marge d'impossible. 

Et moi, suis-je prête pour cela ? Je rêvais d'aventures, pas d'être mère, si ?

Je n'arrive pas à identifier les sentiments qui m'habitent. Panique, effroi, impuissance, haine, une combinaison de sentiments étranges et particulièrement dirigés contre moi-même. Ma stupidité tout d'abord, puis ma naïveté et mon dégoût, mon dédain pour l'homme qui m'a fait ça. L'homme qui me déteste. Qui doit assez haïr l'être tranquille qui grandit en moi pour déjà penser à m'ôter la vie. Il est coupable des larmes de sang qui ont glissé sur mon visage. 

Que puis-je attendre d'autre d'Aden de toute façon ? Qu'il prenne subitement soin de moi ? Soin de mes sentiments ou comprenne mes turpitudes ? Qu'il ait pitié ? Même cela, je m'en contenterais s'il arrêtait une bonne fois pour toute de me malmener moralement. Mais Aden ne dispose pas de ce panel empathique. Surtout à mon égard. Il est si froid, distant. Et, comme pour corroborer ce qu'il pense de moi, il suppute que je me débarrasserai de l'être qui grandi en moi... Qu'est-ce ce que cela est censé signifier ? Qu'il me connaît ? Oh non, il est bien loin de savoir qui je suis. Ce dont je suis capable. Je peux encore encaisser. Qu'il se fasse plaisir.

Enfin, pas tout de suite. La pilule peine à passer. En parlant de pilule... Mon ventre se noue à nouveau. Ma gorge est trop sèche. Je dois bouger. Oui, un geste pour me sentir vivante et non pas paniquée, sur le point de disjoncter.

Mes membres sont ankylosés et seuls, mes iris dérivent à la recherche d'un peu d'eau.

Une gourde pendouille à une ceinture, celle d'Emmy assise un peu plus loin près des filles. Elle a pris ma tension, contrôlé mes réflexes, puis elle a tenté de nettoyer, à l'aide d'un chiffon humide, les petites croûtes de sang qui se formaient sur mon visage.

— Nous ne rallierons pas le point d'eau avant deux jours. Nos bidons sont presque vides et nous perdons du temps, entends-je Deneb râler juste dans mon dos.

Je me crispe. Faites qu'il marmonne tout seul. L'envie de partager mes récentes pensées et me retrouver proche de leur leader me fait du mal rien que d'y penser.

— Effectivement, nous devons marcher plus vite, ajoute Thènes. Je me demande même si courir serait assez. Höd est épuisé. Il divague. Il a besoin qu'on lui accorde un repos plus long.

Mysterious Eyes - En cours de réécriture (Dispo en Broché et Ebook sur Amazon)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant