La pluie battante est juste ce que je suis apte à discerner à travers la fenêtre aux carreaux crasseux juste sur ma gauche. Le tambourinement des gouttes sur les tôles du toit alourdit mes pensées déjà confuses.
C'est l'apocalypse là-haut.
Je suis éreintée, pourtant si je ferme les yeux, je doute de trouver le sommeil.
Je demeure au centre d'une salle de repos, recroquevillée dans un fauteuil fardé de couleurs vertes. Je contemple Thènes qui allume un feu dans un foyer à bois. Il fait froid. 11 °C si je fais référence à la donnée inscrite sur le thermomètre accroché au mur. Cela arrive parfois quand la pluie vient de l'ouest, de l'océan. Ces averses glaciales peuvent durer deux ou trois jours, pas plus mais il pleut beaucoup ces derniers temps.
Il faut croire que le ciel a choisi le bon moment pour rendre l'endroit plus triste et glauque encore.
— Il y a des douches collectives au premier étage et un dortoir, informe Deneb. Montez, nous allons essayer de vous trouver de quoi vous restaurer. Ne vous attendez pas à un miracle culinaire, juste de quoi apaiser la faim.
Les filles, qui s'étaient amassées sur un banc capitonné sous des patères, se lèvent et ramassent leurs sacs.
Elles accueillent cette nouvelle avec joie, mais la dernière heure a marqué leurs visages, sans doute à jamais.
Larcen a été évacué par ses hommes et nous sommes restés dans cette baraque qui suinte la mort.
Sugaar patiente, debout près du bar abandonné au fond de la salle. Le visage fermé, les traits allongés par la fatigue, de larges cernes violets soulignent ses yeux bleus. Ses cheveux châtains sont un peu plus longs et cachent ses sourcils. Nos regards se croisent et il sourit. J'ai envie de me rapprocher de lui. Rien que pour me blottir contre un corps rassurant.
Je pense à Aden, à ses pulsions contradictoires. Je me sens perdue. Va-t-il me forcer à avorter ? Et, cet enfant, quel avenir s'offre à lui ?
Une petite voix me souffle : un monde fou, un père qui le rejette, une mère pas prête à l'accueillir...
Une onde légère me caresse la nuque et je tourne la tête tout en me repositionnant dans mon siège. Mon regard tombe sur une haute silhouette près de l'entrée de la pièce. C'est Aden qui reste en retrait, dissimulé sous le cadran de la porte.
À quoi pense-t-il à cet instant ? Son regard d'un bleu sombre aussi magnifique qu'absurde me scrute et de la chair de poule envahit ma peau.
Je baisse les yeux, non pas par peur. Je n'ai juste plus de force pour la moindre confrontation.
Ce bleu est différent de son ton habituel. Loin de celui de Thènes ; froid, sans pigment et inflexible. Cette couleur rend Aden si triste.
Durant ma tendre jeunesse, je me souviens que le vert céladon dominait ses iris la plupart du temps. Quand il mangeait, quand il me regardait, quand il m'écoutait à sa manière évidemment.
Progressivement, le bleu nuit a pris tous ses jours, toutes ses nuits. Constant, imprégnant, obscur. Aden a grandi et ce vert a disparu, puis s'est estompé de mes souvenirs. Je me souviens aussi d'une couleur plus vive. Du jaune au fauve doré puis patinant parfois vers le sable. Sa peau mate faisait ressortir ce regard clair. Parfois, ses yeux étaient si lumineux qu'on ne voyait plus que cela sur son visage rond d'enfant téméraire et fier.
Le vert et le doré sont deux teintes qui semblent s'être éclipsés de ses iris.
Je relève le nez et l'océan de ses yeux rencontre de nouveau les miens avant qu'il recule et disparaisse de mon champ de vision.
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Mysterious Eyes - En cours de réécriture (Dispo en Broché et Ebook sur Amazon)
Romance⚠️ POUR PUBLIC AVERTI ⚠️ Certaines scènes de cet ouvrage peuvent être choquantes (Sexe, meurtre, torture, viol) Ava est une jeune étudiante en médecine, fille d'un grand médecin, créateur des nouvelles lois martiales de Généapolis, cette ville consi...