Part 25 : Autolyse

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Aden, 10 ans

Je donne deux coups à la porte de la chambre de mon géniteur.

— Vous m'avez fait appeler, professeur ?

— Oui, entre Aden et ferme derrière toi.

Je pénètre dans la pièce. Il est occupé à fouiller dans la commode. Il sort un pantalon, le lisse contre son buste, le plie et le fourre dans une grande besace en cuir brun. Il ne tarde pas à entrer en matière :

— Sais-tu pourquoi j'ai choisi comme prénom : Aden ?

Je reste droit, les mains derrière le dos, tel l'élève qu'il préfère que je sois.

— Oui, professeur.

Le sourire satisfait d'un maître barre son visage.

— J'ai manipulé la génétique afin de créer un être solide, indépendant, développant une forme d'intelligence empathique pour régner bien mieux sur cette terre que l'homme avant lui. Beaucoup ont critiqué le transhumanisme et il m'a fallu faire beaucoup d'erreurs avant de trouver la formule adéquate... Tu es désintéressé, régi par des instincts simples, préservant ainsi la nature et tu es capable de percer le trouble en chacun. Je t'ai créé Aden, car je pensais que tu étais la réponse à notre extinction. Et, pour remplacer l'ordinaire quoi de mieux que l'extraordinaire.

Je l'écoute distraitement. Il m'a déjà conté cette histoire. Celle où il se prend pour Dieu et où il me réduit à une expérience réussie. Je suis avant tout né de l'accouplement entre un homme et une femme. Ce présent individu et ma mère. La manipulation des gènes n'est qu'un plus qui me pourrit la vie.

— Mais, je me suis trompé. J'ai retrouvé le chemin de la raison et celui de la foi...

Les ondes émotives qui émanent de lui me sont désagréables, depuis toujours pour tout dire. Je n'arrive jamais vraiment à les comprendre. Il y a trop d'informations, trop d'ambivalences.

Il fait glisser la fermeture Éclair de son sac avant de se redresser pour me faire face. Il me jette des regards brillants d'excitation.

— Ta venue au monde n'est pas naturelle. En es-tu conscient ?

— Oui, professeur, réponds-je, d'une voix neutre.

Chaque écart de comportement fait de moi un être dangereux. C'est pourquoi, j'évite de le contrarier au maximum et me montre naïf. Les longues seringues et leurs venins sédatiques ne sont pas ce que j'aime pour planer. Je préfère de loin me laisser tourmenter par les humeurs d'Ava.

— ... Je pensais bien faire...

Il poursuit son monologue redondant et mes pensées se perdent sur un sujet : Ava. Quand elle m'est proche, tout ce qui émane d'elle est si doux que ça me fait flotter comme à l'intérieur d'un nuage. J'ai l'impression d'écouter ses émotions pareilles à une tendre mélodie. Un tempo apaisant et pourtant si passionné quand elle parle de ce qu'elle aime. Parfois, elles sont si violentes et intrusives qu'elles me gênent.

Ava est différente. Même si mon père s'acharne à dire qu'elle est la plus ordinaire des œuvres du puissant créateur, je ne la ressens pas comme les autres. Je l'ai compris dès notre premier regard, moi penché au-dessus de son berceau... Je ne l'oublierai jamais : ma première crise. Je me souviendrai surtout de ça : sa peur.

J'essaie de me fermer, de me protéger des émotions du professeur. Sa silhouette s'efface au profit d'un noir qui se développe et envahit ma rétine. Plus aucune lumière ne vient perturber mon cortex cérébral. Un calme à l'intérieur, un silence émotif. C'est comme cela que j'arrive à dormir : en faisant taire les tourments de ma conscience et simultanément celles des autres.

Mysterious Eyes - En cours de réécriture (Dispo en Broché et Ebook sur Amazon)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant