Spirale mortifère (suite)

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16 février 2007

Franck, n'avait pas dû se limiter à ce dernier verre. En fait, il ne se souvenait pas de cette fin de soirée. Il s'était réveillé dans le canapé, Nancy assise face à lui dans le fauteuil. Les bras croisés sur la poitrine, elle affichait sa tête des mauvais jours, celle où elle était dans une colère noire. Ce réveil douloureux, lui rappelait les gueules de bois du lycée. Franck n'était plus lycéen et clairement ce matin il n'avait aucune envie de se faire sermonner par sa femme.

- Tu es en retard, gronda-t-elle.

Franck immergea tout de suite au son de reproche qui pointait dans sa voix. C'était un mauvais présage, Nancy tentait de prendre sur elle pour ne pas hurler. Lentement il se redressa pour s'asseoir. Dormir dans le canapé n'était pas une bonne idée, en plus du mal de tête qui lui tambourinait le crâne, ses lombaires avaient également décidé de lui manifester leur réprobation. Chaque main de part en part du front, il se massait les tempes, son geste lui apportait l'espoir de diminuer la douleur qui le martelait sans relâche.

- Quelle heure est-il ? Demanda Franck en jetant un bref regard à sa femme.

- 8H30, rétorqua-t-elle. Je peux savoir à quelle heure tu es rentré ?

Levant la tête, Franck sondait les traits de Nancy pour savoir si elle allait hurler ou pire le faire culpabiliser.

- Je ne sais ni quand, ni comment je suis rentré, souffla-t-il méfiant.

- Tu étais avec qui au moins ? Continua-t-elle.

- J'ai fini la soirée avec Samuel.

- Samuel... susurra-t-elle. (Décroisant les bras, Nancy prit appui sur les accoudoirs du fauteuil et se leva). Toujours Samuel. Je n'entends plus que ce prénom dans ta bouche. Je ne le connais pas mais tu peux être sûr Franck que ce type je ne l'aime pas, cracha Nancy.

Sa femme le dominait, Franck la regarda et ressenti une bouffée de colère. Il n'avait pas aimé la phrase qu'elle venait de prononcer. Tout le mépris qu'elle avait glissé dans chaque mot l'avait blessé. Franck avait beaucoup d'estime pour Samuel, ensemble ils ne faisaient rien de mal, d'ailleurs Samuel n'était pas étranger à leur succès pour l'obtention du chantier de Clermont-Ferrand. Les deux hommes s'étaient liés d'une amitié sincère.

- Arrête, comme tu viens de le dire tu ne le connais même pas ! Samuel est très sympa, il n'y est pour rien, il ne m'a pas forcé la main et je l'apprécie beaucoup. Pour une fois que je fais un excès tu vas me faire un procès ? Lança-t-il.

- Je me suis inquiétée ! La dernière fois que j'ai regardé l'heure il était 3h du mat' putain ! Je ne t'ai pas entendu rentré, quand je me suis réveillé tu n'étais toujours pas dans le lit ! Je me suis levée en catastrophe me faisait toutes sortes de scénarios pour ce qui te serait arrivé et je te trouve vautré dans le canapé ! Tu n'as même pas trouvé la force de venir te coucher dans ton lit. Ça ne te ressemble pas Franck. (Nancy prit une brève inspiration) J'y vais je suis en retard aussi, acheva-t-elle.

Nancy était déçue, elle secouait la tête en signe de désapprobation, elle se retourna, attrapa sa veste qui était posée sur le dossier du fauteuil qu'elle venait de quitter et se dirigea vers la sortie, se saisissant au passage de son sac à main posé près du vestibule.

- Nancy ? Appela Franck.

Elle ne se retourna pas, ne prononça pas un mot. Elle se contenta d'ouvrir la porte et de sortir, le laissant là à méditer avec sa gueule de bois. La déception de sa femme était quelque chose que n'avait jamais provoqué Franck et il n'aimait pas voir ce sentiment chez elle. Il aimait sa femme par-dessus tout, la voir ainsi quitter l'appartement lui faisait mal. Toute la journée il garderait l'image de Nancy de dos, son pantalon en cuir épousant parfaitement ses formes, son pull noir tout aussi moulant qui lui marquait la taille, et ses longs cheveux roux en une haute queue-de-cheval qui se balançaient suivant son pas déterminé que ses escarpins achevaient de faire résonner sur le parquet. Même de dos et dans une colère noire, elle était fabuleusement désirable.

Les jours suivants Franck fit tout son possible pour faire oublier son attitude à sa femme. Il était résolu à ne plus voir la déception dans les yeux de Nancy.

Samuel avait compris qu'un vent de panique avait soufflé dans le ménage de son ami, ils avaient donc fait une pause dans leurs virées nocturnes quotidiennes. Ça n'avait duré qu'un temps. Les deux hommes reprirent rapidement l'habitude de finir leur soirée dans un pub. Au départ ils faisaient en sorte de ne boire qu'un ou deux verres et de rentrer chacun chez soi. Samuel avait plus ou moins avoué à Franck qu'il continuait de voir la jeune femme rencontrée lors du cocktail organisé par le cabinet d'architecture. La jeune femme en question s'appelait Annabelle et était étudiante. Samuel n'attendait rien de cette aventure, juste d'avoir de la compagnie dans son lit de temps en temps.

La restriction d'un ou deux verres ne dura pas, comme tout le reste. Les deux hommes se laissaient aller aux confidences. Dans la convivialité qu'offraient les pubs, la décoration chaleureuse, la bière fraîche, la musique qui flottait dans l'air, tous ces détails faisaient oublier le reste, les heures défilaient sans qu'ils ne s'en rendent vraiment compte. Progressivement ils étaient devenus inséparables, ils se voyaient au travail, après les heures de bureau et parfois les week-ends. Dans les cas où ils ne pouvaient pas se voir, les deux hommes s'appelaient ou s'envoyaient des messages. Nancy déplorait qu'il se comporte comme un adolescent, lui reprochant de prendre davantage soin de son collègue que de sa femme. Elle était toujours réticente envers le jeune homme, mais faisait de plus en plus mention qu'elle souhaitait faire sa connaissance. L'occasion ne s'était toujours pas présentée, quand l'un pouvait c'est l'autre qui avait un empêchement.

Franck et Samuel avaient de nombreux points communs, ils aimaient tous les deux leur métier, la même musique, les livres. Durant leurs instants autour d'un verre ils pouvaient passer des heures à parler de tout et n'importe quoi, de politique, de poésie, d'un film qu'ils avaient adoré ou détesté, chacun y allait de son argument pour défendre son point de vue. En général ils étaient rarement en contradiction, Franck se délectait de pouvoir discuter de n'importe quel sujet. C'est ce qu'il appréciait surtout chez Samuel, il ne se sentait pas jugé et savait qu'il pouvait parler librement de ce qu'il voulait, cohérent ou non son ami le laissé s'exprimer.

Alors quand Samuel aborda ce sujet, Franck se laissa aller comme à chaque fois, ils abordaient une pente jusqu'ici inexplorée...


Ivresse mortelleOù les histoires vivent. Découvrez maintenant