Sordide révélation (suite et fin)

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Nancy... Franck n'avait pas encore eu le temps de penser à elle. Qu'allait-elle devenir ? Allait-elle refaire sa vie ? Arriverait-elle à l'oublier ?
Il ne s'attarda pas davantage auprès de l'ange, de peur que celui-ci ne change d'avis, il se dirigea vers la chambre à coucher. Fébrile face à la porte qui le séparait de son épouse, la boule d'angoisse au creux de la gorge avait ressurgit. Par résignation il ne chercha pas à s'emparer de la poignée, mais s'élança à travers l'obstacle, comme à chaque fois depuis qu'il s'était réveillé ce matin, il ne sentait plus rien, franchir la porte ne lui avait demandé aucun effort, aucune difficulté.
Elle était là, allongée en position fœtale, ses magnifiques cheveux roux se déversait tel un halo sur l'oreiller. Franck se dirigea prudemment vers Nancy, même s'il savait qu'aucun bruit qu'il ne puisse faire ne la réveillerai, il ne pu se soustraire à être délicat. Il s'approcha précautionneusement d'elle pour s'allonger à son tour à ses côtés. Face à elle.
Si belle, elle n'avait pas changé depuis leur première rencontre, ils s'étaient aimés passionnément, avait tout partagé. Nancy avait prédit après sa première rencontre avec Samuel qu'il causerait leur perte, aujourd'hui Franck se rappelait les paroles qu'elle avait prononcé ce soir là. Ni elle, ni lui n'avait vu le jeu de Samuel, il avait tout détruit, avait réussi son coup, mais Franck était bien décidé à profiter des derniers instants qu'Azäkyel lui offrait. Prudemment, il approcha sa main du visage délicat de Nancy, épousant la forme de sa joue il ne fit que l'effleurer pour ne pas avoir à vivre son incapacité à sentir sa peau. Voir sa main traverser Nancy serait à ses yeux une torture, ne plus pouvoir sentir son grain de peau, sa douceur et sa chaleur aurait été un supplice, il se contenta donc de l'effleurement.
- Pardon mon amour, murmura-t-il. Pardon pour tout le mal que je t'ai fais vivre depuis cinq ans. Pardon de n'avoir pas eu le courage de te dire ce que j'avais fait. De ne pas t'avoir dis qui était véritablement Samuel... Mais m'aurais-tu cru ? Avec le recul, je pense que oui, car ton amour et ta confiance en moi ont toujours été incommensurables. Tu es la femme de ma vie, ma luciole au fond des nuits... Je me demande encore comment tu as pu supporter tout ça, mes inlassables sorties nocturnes, mes lendemains difficiles... Je ne compte plus le nombre de fois où tu as écumé les bars de Clermont pour me chercher, à m'aider à retrouver mon lit, à nettoyer après moi lorsque je n'avais plus la force d'atteindre les toilettes...
Il savait que Nancy ne pouvait l'entendre, pourtant plus il parlait plus la ride entre ses sourcils qu'il aimait et détestait tant à la fois avait refait surface sur le visage de Nancy. Sentait-elle dans son sommeil une présence ? Franck effleura ce pli typique de contrariété qu'affichait toujours son épouse, il tenta par son geste de la faire disparaître comme il en avait l'habitude de son vivant lorsque les vapeurs d'alcool qui lui battaient les veines étaient suffisamment atténuée pour lui permettre de regarder encore son épouse, de la désirer. Il voulait partir serein, savoir que Nancy était en paix.
- Il est temps que je parte ma douce... Je suis à la fois soulagé et plein de culpabilité. Soulagé car à partir d'aujourd'hui toi et moi n'aurons pu à vivre le calvaire de mon alcoolisme et coupable car à ton réveil tu vas trouver mon corps. Je me suis dégoutté moi-même en me voyant, j'aimerais tant que tu te rappelles de moi comme l'homme que tu as épousé, l'architecte talentueux que j'étais, et non pas comme ce pathétique alcoolique que je suis devenu.
- Il faut y aller, gronda Azäkyel.
L'ange noir était apparu au pied du lit, coupant Franck dans son discours d'adieu. Il semblait contrarié et fixait intensément Nancy endormie.
- Vite, continua-t-il.
Franck se retourna à nouveau vers Nancy, et remarqua qu'une larme s'était répandue sur son visage.
- Peut-elle m'entendre, demanda Franck à l'ange sans lâcher Nancy des yeux.
- Non. Dépêche toi de finir maintenant.
Après un bref instant d'hésitation, Franck se pencha vers son épouse et posa délicatement un baiser sur ses lèvres. Un léger picotement le traversa lorsqu'il effleura la bouche délicate de Nancy, cette sensation il ne l'oublierais jamais.
- Pardonne moi encore... Je t'aime, souffla-t-il.
Un dernier regard pour son épouse, avec un sursaut de courage et un déchirement aux tripes en comprenant qu'il ne la reverrait plus, Franck se redressa et quitta la pièce. Le désespoir était à nouveau apparu, Azäkyel le regardait amusé et satisfait.
- Tu avais prévu ça n'est-ce pas ? Tu m'as autorisé à aller la voir car tu savais ce qui se passerait ensuite ?
- Oui, jubila l'ange. Nous en sortons tous les deux vainqueurs, tu as pu dire au revoir à ton épouse, et j'ai pu récolter encore quelque goutte de ce divin nectar qui émet de toi. Souviens-toi Franck... Je décide de tout. Rien n'est jamais fini.
Les deux hommes étaient à nouveau de retour dans le salon, Franck regarda une énième fois depuis son réveil le cadavre de son corps, puis un regard en direction de la chambre à coucher. Quel triste spectacle attendait encore Nancy. Cette dernière étape serait bien trop douloureuse pour elle, Franck le savait. Avec le temps, il aimait à croire qu'elle finirait par oublier.
Azäkyel se plaça face à Franck, il affichait une mine ravie et jubilait ce ce qui s'apprêtait à suivre.
- Que se passe-t-il? Demanda Franck.
- Les choses sérieuses commencent enfin, roucoula Azäkyel.
- Où allons nous ?
- Surprise... Je t'ai dis que rien n'était jamais fini...
L'ange noir se redressa amplement, prenant une inspiration tout en déployant ses magistrales ailes. Franck était effrayé car il ne savait pas ce qui l'attendait, mais l'ange démoniaque qui se tenait à ses côtés était quant à lui fascinant. Oui, les anges Déchus pouvaient être à la fois repoussant mais Azäkyel à cet instant était magnifique, hypnotisant. L'euphorie qui s'était emparé de lui le rendait majestueux, il dévorait Franck des yeux.
- J'ai un dernier cadeau pour toi... Écoute.
Franck entendit alors un cri déchirant. Un hurlement où toute la détresse, la peur, le désespoir et la douleur d'une femme qui vient de perdre son mari était réunis. Le cri qui lui déchirait les tympans était celui de Nancy.
Paniqué Franck dévisagea Azäkyel pour comprendre ce qui se passait. Ce dernier avait les traits déformés, tel un joker machiavélique ses yeux s'étaient agrandis, un rictus démoniaque lui retroussait les lèvres.
- Je ne suis pas un quelconque chérubin ! Cracha Azäkyel. Non moi je suis l'Ange Noir, celui qui vient chercher les Morts, et se nourrit de leur désespoir. Depuis le départ, ta femme revit en même temps que nous tout ce qui se passe dans l'appartement, roucoula Azäkyel. Je viens de la libérer des liens que je maintenais en place et pourtant elle m'a donné du fil à retordre, j'ai bien cru que je n'arriverais pas à la canaliser il s'en est fallu de peu pour qu'elle rompe mon contrôle lorsque tu étais à ses côtés . Tu vas quitter ce monde, en sachant que Nancy finalement sait tout ce que tu as fait, et surtout les cris qu'elle pousse actuellement vont bercer ton nouveau quotidien. Ton âme ne sera jamais en paix, le désespoir qui t'habite à nouveau va me nourrir encore et encore, et ce pour longtemps. Je te l'ai dit, rien n'est jamais fini... Samyskal a fait un excellent travail, pour un peu je lui pardonnerai sa traitrise d'antan.
Au moment où les ailes d'Azäkyel se refermaient sur lui, Franck eut juste le temps d'apercevoir son épouse qui franchissait le salon en hurlant toujours. Un froid sibérien l'enveloppa alors, tandis que son corps s'effaçait au sein du plumage noir de l'ange Déchu. Il quittait ce monde pour l'inconnu. Franck avait toujours pensé que mourir apportait la paix, l'oubli, l'abandon. Azäkyel lui démontrait qu'il avait eu tort. La détresse qui s'était accaparée de lui ne semblait pas faiblir, le cri déchirant que Nancy avait poussé lui déchirait encore les tympans, il ne semblait pas s'atténuer. Comme une litanie, il entendait encore et encore cet hurlement. Le visage de Nancy hanté par la peur lorsqu'elle avait franchi le salon venait se greffer à ses hurlements qui lui vrillaient l'esprit. Rien n'était fini avait dit Azäkyel. Il comprenait enfin ce qu'il avait voulu dire. Nancy hurlante et hanté par la peur serait dorénavant son quotidien, de quoi activer en permanence son désespoir et nourrir ainsi l'ange noir. Cette torture allait-elle être éternelle ? Finirait-il par sombrer dans la démence et tout oublier ? En fond sonore Franck percevait le rire jubilatoire d'Azäkyel qui était venu le chercher en ce matin funeste. Confiné au creux de ses ailes qui l'avait fascine quelques heures auparavant, le froid polaire régnait, le désespoir l'habitait, et le néant était partout. Le hurlement de Nancy résonnait encore et encore. Et rien n'était jamais fini...

Ivresse mortelleOù les histoires vivent. Découvrez maintenant