Ivresse mortelle

Spirale mortifère (suite)

09 juillet 2007

Ils travaillaient ensemble depuis presque six mois, autant dire que Samuel avait depuis longtemps compris comment fonctionnait son ami et collaborateur. En franchissant la porte du bureau, il analysa instantanément la scène que Franck lui offrait et su qu'il pourrait faire tout le vacarme qu'il souhaitait celui-ci ne relèverait pas la tête de ses croquis. Concentré, il manipulait sa règle et ses crayons à la perfection, chaque geste était précis et sûr.

Samuel s'installa à son tour à son plan de travail, contrairement à Franck il lui fallait davantage de temps pour reprendre un travail en-cours. Après une semaine d'absence la reprise risquait d'être compliquée. Soulevant un par un les plans entreposés sur son bureau, déplaçant de-ci de-là les équerres, compas, règles et feutres, il faisait un tel vacarme que quiconque se serait alarmé d'un tel raffut... mais pas Franck. Celui-ci restait obstinément la tête penchée sur ses planches, un perpétuel froncement de sourcils accompagnait chacun des traits qu'il traçait.

Ils passèrent ainsi la matinée, chacun absorbé par son travail, aucun mot n'avait été échangé entre eux. Samuel n'avait même pas cherché à discuter avec Franck, par expérience il savait que ses paroles seraient restées de toute façon sourdes à toutes réponses.

C'est Franck qui se redressa le premier avec un air d'incrédulité sur le visage comme s'il prenait enfin conscience qu'il n'était pas seul, à croire que Samuel était arrivé sans faire de bruit et qu'il n'avait même pas salué son ami.

- Café ? Demanda-t-il.

Samuel releva aussitôt la tête pour contempler son ami, il s'était à son tour immergé dans son travail et une seconde lui fût nécessaire pour comprendre ce qui se passait.

- Oui volontiers, répondit-il perdu.

Leur collaboration était des plus étrange, aucun des deux hommes ne jugeait les habitudes de l'autre. Ils ne s'étaient pas adressés la parole de toute la matinée, travaillant à quelques mètres l'un de l'autre ils s'étaient ouvertement ignorés pour respecter le travail de chacun. Après trois heures de totale ignorance l'un pour l'autre, ils leur semblaient tout naturel maintenant d'agir comme si de rien n'était. Pourtant une fois leur café avalé ils repartiraient dans le même mutisme et ce jusqu'à la fin de la journée. Il n'y aurait pas de pause déjeuner en commun puisque Samuel devait participer à une réunion de chantier en dehors de la ville et il ne serait de retour qu'en fin d'après-midi.

Cette coopération entre eux deux marchait à la perfection, ils se comprenaient d'où la réussite de leur travail. N'importe quel autre binôme aurait eu pour conséquence des conflits mais pas le leur. Le cabinet "Archibât'" était fier de ce duo et à l'affût du moindre nouveau marché à leur confier.

Les deux hommes se levèrent pour rejoindre la salle de pause où un distributeur de boissons était à disposition du personnel. Une gêne était présente entre eux. La soirée qu'ils avaient passée ensemble voilà une semaine et l'absence de Samuel étaient toujours dans les esprits.

Par habitude Franck ne demanda pas à son ami comment il préférait son café, Samuel était un irréductible buveur de café noir, tout comme lui.

En pressant le bouton du distributeur, un millier de questions lui taraudaient l'esprit. Comment lancer le sujet ? Était-ce le bon moment ? Le bon endroit ? Tant d'interrogation. Il se focalisait sur le débit de la machine afin d'éviter de croiser le regard de Samuel. C'était tellement plus simple d'agir ainsi. Pourtant en se retournant pour lui tendre son gobelet, il eut la surprise de lire la moquerie sur le visage de Samuel. Celui-ci, se contrôlait pour garder son sérieux, il ne riait pas ouvertement mais ses yeux pétillaient, il se réjouissait de voir Franck aussi intimidé pour soutenir son regard et d'éviter de le bombarder de toutes les questions qui, il le savait, se bousculaient dans sa tête.