Les gouttes de pluie s'écrasèrent sur les vitres, faisant durer le son des clapotis jusque dans les abysses de l'appartement. Il subsistait une odeur âcre entre les murs de cette pièce humidifiée par les vapeurs occultées de l'enfermement. L'ambiance s'était soudainement assombrie, et le visage taciturne de chacun n'apportaient guère la chaleur manquante en leur sein.
– Et si vous nous racontiez tout ce que vous savez ? Nous n'avons pas toute la soirée. suggéra Luna, en jetant un regard furtif à l'horloge qui affichait déjà 19h05.
Un sourire figé se forma sur les lèvres d'Esther, dont les mains fripées entouraient sa tasse de thé aux bordures quelque peu ébréchées. Elle ferma les yeux, comme pour se remémorer les trente-cinq années de sa vie passée à soigner l'âme de chacun des patients de l'hôpital. Certes, cela avait été son métier, elle avait demeuré dans ces locaux en tant qu'infirmière, mais aussi en tant qu'amie et confidente pour certains. Sa mémoire mêlait alors souvenirs mémorables et instants douloureux.
– Alors... Par où commencer ? se demanda-t-elle après avoir rouvrit ses yeux rieurs.
– Et si vous commenciez par nous parler d'Ardea. lui conseilla Rémi, en joignant ses mains sur la table.
Elle acquiesça doucement, avant de laisser son flot de paroles s'écouler sous les ponts d'antan.
–La première fois que je l'ai vu, je l'ai tout de suite aimée... Elle avait cet indéfinissable éclat dans le regard, et à chaque fois qu'il se posait sur vous, c'était comme si vous deveniez inéluctablement important à ses yeux, peu importait votre statut ou votre rang... commença-t-elle, doucement mais sûrement. Faisant remonter en elle les réminiscences d'un temps révolu, enterré sous ses pieds durant tant d'années, et déterré à l'instant sous l'accalmie de son auditoire. Prête à s'enfoncer dans les limbes du passé.
Printemps 1990.
Au milieu des arbres fleuris et du souffle du vent, se dessina la silhouette d'un véhicule au moteur sifflant. Une vieille Renaud grise aux vitres teintées se gara devant la silencieuse façade de l'établissement arborant en grosses lettres : « Hôpital psychiatrique de la roseraie de Fontainebleau ».
Un homme en sortit, tout vêtu de noir, puis la portière arrière s'entrouvrit pour laisser apparaître un nouveau visage. Un pied après l'autre, sa silhouette s'extirpa des tréfonds de l'habitacle, avant de se dévoiler à la clarté du monde. Son joli minois attira de suite l'œil des surveillantes qui l'attendaient de pied ferme depuis ce matin. La jeune femme, nouvelle arrivante en ces lieux inconnus, s'avança d'un pas timide, suivi de près par son chauffeur. Ses longs cheveux ondulaient sur ses épaules, son nez était retroussé et ses yeux, aussi grands que deux fenêtres, laissaient rentrer la chaleur de la lumière avec avidité.
– Bienvenue, mademoiselle. lui lança une des aides-soignantes sur un ton neutre.
Elles l'invitèrent poliment à les suivre jusque dans les locaux immaculés de l'institution. La jeune femme, l'air perdu, oscilla sans dire un mot. Tandis que derrière elles, l'homme, qui l'avait accompagné jusqu'ici, traînait le poids d'une valise. Le bagage nécessaire à la survie d'une patiente entre ces murs nimbés par la tranquillité et la dureté de l'encadrement. Une fois qu'elle fut conduite jusque dans la pièce qui allait lui servir de chambre. Les surveillantes lui assignèrent une infirmière qui la prendrait en charge et s'occuperait d'elle durant tout son séjour.
– Si vous avez la moindre question n'hésitez pas à demander à l'infirmière Esther Morret. Bon séjour parmi nous, mademoiselle.
Le silence demeura. La voix qui s'était élevé s'éclipsa dans les dédales du bâtiment à la poursuite de d'autres patients. La nouvelle arrivante en ces lieux ne daigna prêter attention à ces femmes s'agitant à tout va ; à la place, elle songeait silencieusement les yeux rivés sur l'unique fenêtre de sa chambre aussi impersonnelle que tout le reste du bâtiment. Une vraie prison pour forcenés.
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La fille du métro
Mistério / SuspenseQuand Rémi aperçoit pour la première fois de l'autre côté du quai une jeune femme douteuse, il va se lancer dans la plus troublante des énigmes. Cette femme en est une à elle seule. Le métro est un moyen de transport des plus commun et très pratiqu...