V i n g t - c i n q

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– Je peux y jeter un coup d'œil ? avait demandé Rémi, pointant du doigt le carnet à dessin.

– Bien sûr. Je les ai tous décortiqué un à un, et crois-moi, je n'ai rien trouvé... J'ignore ce qu'elle attendait de moi en me confiant ceci, mais j'ai échoué à ma tâche... soupira Esther, en saisissant le carnet de ses mains fripées pour le tendre au jeune homme curieux.

Ainsi, Rémi put se mettre à détailler la parure de l'ouvrage couleur verre d'eau, vieilli par les années passés entre humidité et valses poussiéreuses. Il avait ce sens de l'observation aussi bien avéré que convoité, et comptait désormais le mettre à profit. Ses yeux survolèrent l'objet porteur d'énigmes scellés par les lèvres d'une femme disparus. Chaque page était noirci par la vive emprise de la représentation artistique. Les premiers dessins dépeignaient souvent des objets vaniteux, tel un crâne, un sablier, des fleurs fanés, une porte menant vers l'inconnu. Tous des signes faisant écho à des questionnements existentiels, sûrement preuves de l'agitation émotionnelle que devait subir Ardea. Il continua son voyage parmi ces feuilles de papier, tournant les pages d'un geste minutieusement léger.

Plus il avançait d'un morceau de carbone à l'autre, plus les dessins perdaient de leur sens et devenaient purs brouillons. C'est alors qu'il s'arrêta sur un croquis. Il venait de mettre le doigt sur quelque chose d'intéressant : un portrait. Celui-ci représentait la figure d'un homme, du moins, ce qui s'apparentait à un visage. Les traits étaient si brouillés qu'il était difficile de distinguer les contours de cet individu. On dirait le mélange d'une image vaporeuse à celle d'un modèle en mouvement perpétuel. En tournant les pages encore et encore avec attention, il découvrit que le visage de cet étrange personnage qu'Ardea avait dessiné, était partout. Curieusement, il se répétait de plus en plus vers les dernières pages. Il y voyait alors un symbole, ou peut-être un indice.

– Qui est-ce ? avait-il alors demandé à Esther, pointant du doigt l'objet de son intérêt.

– Je n'en ai absolument aucune idée. Mais pour tout te dire, au début j'ai pensé qu'elle avait dessiné Marco, son compagnon... Et puis, après de longues recherches, il s'avéra que la ressemblance n'était pas flagrante. De plus, celui-ci est décédé peu après Ardea, en prison.

– Ce qui veut dire ? intervint Luna, sur un ton qui laissa transparaître son impatience.

– Qu'il s'agit d'un parfait inconnu, articula Esther sans un regard pour la jeune femme.

Rémi se mit à faire les quatre-cent pas dans la pièce, quelque peu gêné par ce détail qui selon lui était primordial. Puis, comme s'il était soudain moins tracassé, il revint s'asseoir à sa place, face à la propriétaire de ce domicile. En vérité, il n'était pas moins calme, et peinait à contenir ses questions qui lui brûlaient les lèvres. Et toutes commençaient par pourquoi ?

– Mais pourquoi irait-elle dessiner un inconnu ?

– Voilà une question que je me pose depuis des années... Je ne suis malheureusement pas en mesure d'y répondre.

– Je peux vous l'emprunter ?

– Bien sûr, tu peux même le garder. Ce carnet t'appartient Rémi, il est ton héritage.

– Merci, lui répondit-il simplement, en soulevant le poids de ce drôle d'héritage.

Il lui lança un sourire franc, qu'elle lui rendit instantanément. Cela avait beau faire quelques heures qu'ils se connaissaient, Rémi avait l'impression que leur rencontre était de l'ordre du destin, et que cette bonne femme n'avait pas été placée sur son chemin sans raison apparente.

La fille du métroOù les histoires vivent. Découvrez maintenant