Chapitre I: La Moisson

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Note: Je vous présente une création faite en collaboration avec une jeune auteure de talent. A deux, nous avons tenté de vous retransmettre notre amour pour la série de Suzanne Collins en mettant en scène un personnage sorti tout droit de notre imagination. Notre histoire se déroule entre le vote d'un "dernier" Hunger Games par la Présidente Coin et avant sa mort donc au Tome 3. Il est possible que vous trouviez des spoils donc attention à ceux qui n'ont pas lu le dernier tome.

Bonne lecture!

Chapitre I: La Moisson

J'avance lentement, entraînée par la foule multicolore qui se masse devant le Grand cirque entouré par de nombreux soldats. Bien que la prise de pouvoir par les rebelles ait établi une tenue vestimentaire beaucoup plus sobre que ce que nous avions l'habitude de porter au Capitole, elle n'est pas parvenue à éteindre la flamme de l'extravagance déjà bien ancrée dans les mœurs. Ci et là, on peut apercevoir une chevelure époustouflante, une couleur de peau étrange ou tout autre stigmate brillant de notre gloire passée. Je ne fais pas exception à la règle. Ma tignasse blanche coupée courte tranche avec les habits sombres qu'on nous a affublés, de même que l'étoile dorée gravée sous mon œil gauche. C'est peut-être une des rares choses qui me rapproche avec le reste des gens du Capitole.

Nous, les enfants, sommes au centre de toutes les attentions. Devant nous se trouve une grande estrade sur laquelle repose deux urnes, chacune gardée par deux hommes au garde à vous. Les adultes réunis sur nos flans, nous regardent avec désespoir ou avidité. Je me demande si ces derniers ont vraiment des enfants ou s'ils sont venus uniquement pour savourer perfidement les derniers Hunger Games. Une bouffée de haine m'emplit à cette idée. C'est leur soif de sang et leur esprit pervers qui nous ont réunis aujourd'hui. Ils sont autant à blâmer que ces foutus rebelles. Autour de moi, des cris et des pleurs s'élèvent quand les soldats viennent chercher les derniers enfants enfouis dans les bras de leur mère, espérant sans doute échapper à la moisson. Mais il est déjà trop tard. Leur nom est depuis longtemps écrit sur un des petits papiers jetés au fond d'une grande urne transparente frappée du sceau des rebelles: un geai moqueur.

Ils nous ont dit qu'un tirage au sort allait avoir lieu pour déterminer les tributs. Mais je sens que peu importe le nom tiré, le sort ne me sera pas favorable. Il n'y a aucune chance que je m'en sorte. Qu'ils aient mis une centaine de fois mon nom ou une fois n'y changera rien. Je suis désignée d'office. J'ai eu beau retourner la question dans tous les sens à l'annonce des jeux, l'issue m'a paru évidente hier. Je me sens trembler au souvenir de cette effroyable nuit. L'hystérie s'est emparée de moi et j'ai hurlé à n'en plus pouvoir. Au réveil ma voix était encore enrouée. Je me demande maintenant comment tant de personnes se massant comme des animaux au fur et à mesure des années n'ont pas sombré dans la folie rien qu'en attendant qu'on les désigne pour une mort qui n'a rien d'honorable. Tous ces gamins qui m'entourent et qui ont suivi avec passion tous les précédents jeux, s'en rendent-ils compte aujourd'hui? Qu'on nous mène à l'abattoir? Pour apaiser le sang par le sang. Moi oui, bien que je n'aie jamais eu d'engouement pour ce genre de spectacle. J'y étais juste indifférente. Mais il me semble à cet instant, que la seule négligence est déjà d'une cruauté sans borne.

Je ressens la peur que chaque enfant avant moi a dû ressentir dans cette position, j'appréhende le moment où l'hôtesse prendra la parole pour donner le nom des morts en sursis, ceux qui m'accompagneront dans l'arène et que je devrai tuer pour survivre. J'essuie mes mains moites sur ma robe grise et cherche ses yeux du regard pour me donner contenance. Mais rien à faire, j'ai beau sonder la masse des jeunes, je ne le trouve pas. Se pourrait-il qu'il se soit enfui? Non, il ne m'aurait pas laissée derrière. Il n'aurait jamais pu faire ça, pas avec ce qu'il me doit.

Le bruit sourd d'un micro qu'on tambourine me tire de mes pensées sombres. Un grand silence s'est installé à présent et l'attention est maximale. La tension aussi d'ailleurs. Du coin de l'œil, je peux voir les lèvres de ma voisine bouger frénétiquement, comme si elle récitait quelque chose. Une prière peut-être. Mais adressée à qui? Personne ne nous entendrait. D'un seul coup, j'ai envie de la gifler. J'aimerai la secouer et lui hurler dessus pour ses futiles espoirs que je n'ai plus. Car elle, elle a peut-être une chance d'échapper au massacre, mais pas moi. La voix de la Présidente Coin elle-même s'élève et fait battre mon cœur plus vite. Il bat tellement fort que j'ai du mal à me concentrer sur ce qu'elle dit. Un truc sur la récente victoire des rebelles il me semble, et leur désir de rétablir une forme de justice et de nous protéger de la colère des districts. Nous protéger? Tu parles, ce sont juste des lâches qui n'ont aucune force pour maintenir la paix sans le prix du sang. Tout comme le régime précédent d'ailleurs. Et bien sûr l'événement est retransmis en direct sur écran géant dans tout Panem. Histoire de faire bonne mesure et de montrer à quel point la nouvelle dirigeante a à cœur la souffrance de son peuple.

Puis vint le tour d'Effie Trinket de s'approcher et de sa voix haute perchée nous souhaiter un joyeux Hunger games. « Et que le sort puisse vous être favorable !». Elle a toujours ce même sourire stupide en disant ça que lorsqu'elle était dans le district douze, pourtant, ses yeux ont cessé de briller. Les ravages de la guerre en ont-elle fait aussi une victime? Bah, peu importe, ce n'est pas elle qui va mourir prématurément. Elle s'approche des urnes et mes pensées s'affolent. Dans chaque urne, elle devra tirer 12 noms. L'énumération risque d'être longue et le moissonnage laborieux. Mais tout est prévu pour qu'il n'y ait aucune bavure. Je me surprends néanmoins à espérer qu'il y en ait et qu'au bout du compte, on soit tous tués rapidement. Rien ne peut être pire que l'angoisse de se savoir bientôt dans l'arène. Effie plonge sa main dans l'urne des filles et en sort un petit papier. Le monde semble retenir son souffle. À cette allure, beaucoup vont s'évanouir de suffocation.

« Eris Shwarpz » tonne-elle dans le micro.

Une jeune fille un peu plus âgée que moi s'avance, le teint cendreux malgré les fleurs multicolores incrustées sur ses tempes. Elle grimpe sur l'estrade et se place derrière Effie sous la surveillance des hommes en armes. Ça y est, la moisson est officiellement entamée. Alternativement, une fille et un garçon de douze à dix-huit ans viennent se placer sur l'estrade. Je ne peux étouffer un gémissement navré quand le petit garçon de la fille de mon ancienne nourrice est appelé. C'est aujourd'hui son anniversaire. Il vient d'avoir douze ans. Malgré la cruauté de son sort, son visage rond n'exprime qu'une vague inquiétude. Est-il seulement conscient de ce qui va lui arriver? J'en doute fortement. Je suis navrée pour lui, mais comme tous les autres, je suis impuissante, on nous a interdit de nous porter volontaire. J'imagine que c'est surtout pour empêcher quiconque de prendre ma place. Mais il se trompe, personne ne me sauvera.

Je faiblis une nouvelle fois quand je le vois monter sur l'estrade. Non pas lui, surtout pas lui. J'ai envie de hurler, de me ruer sur les gardes pour lui permettre de s'échapper. Pour changer, tien. Mais je ne bouge pas, je n'émets aucun son. Suis-je lâche ou simplement réaliste? Je ne sais pas, je ne sais plus. Le nombre de tributs ne fait qu'augmenter et mon nom n'est toujours pas sorti. Se pourrait-il que je me sois trompée? Qu'il n'y ait pas de conspiration contre moi? Que j'aie une chance de vivre quelques années supplémentaires?

Effie tire enfin le douzième papier des filles, le dernier nom, la dernière fille désignée pour mourir. Je me mets à espérer et même à adresser une vague prière à je ne sais qui. La main de ma voisine vient saisir la mienne avec l'énergie du désespoir. Je ne me dérobe pas, j'ai autant besoin qu'elle de ce contact. Surtout lorsque de sa voix suraiguë, Effie clame mon nom:

« Blanche Snow! »

Je m'appelle Blanche Snow. Je suis la petite fille de celui qu'on appelait Président Snow. J'ai quinze ans. Et dans moins de deux semaines, je serai morte.

Les Enfants du CapitoleOù les histoires vivent. Découvrez maintenant